Année 2004-2005 : 22 mars 2005

La couleur locale dans les romans policiers italiens,

par Pierre Staelen

  

 

Massimo Carlotto.

Avant de descendre vers l’Italie Centrale, arrêtons-nous dans cette partie que les Italiens appellent le Nord-Est, et qui va de Vérone à Trieste. C’est cette région qui connaît le plus grand développement industriel de l’Italie contemporaine. Nous y trouverons à Padoue, ville de Massimo Carlotto, son héros, l’original détective privé Marco Burattti.

L’auteur est lui-même un personnage peu ordinaire. Militant de Lotta Continua dans les années 80, il fût accusé à tort pour un empoisonnement. Emprisonné, il profite de son procès pour s’enfuir au Mexique, d’où il est renvoyé en Italie. Il sera finalement gracié, mais ces expériences vont le marquer profondément, d’abord dans la rédaction de romans autobiographiques, comme « Il Fuggiasco », le Fugitif, ensuite dans ses créations romanesques.

Il fait vivre en effet au héros de ses romans, Marco Buratti, une existence inspirée par la sienne. L’activité de Buratti est celle d’un détective privé, mais sans le pignon sur rue (il reçoit ses clients dans son bar en écoutant de la musique de jazz). Ses assistants (occasionnels) sont un gangster milanais à l’ancienne, qu’il a connu en prison, et Max la Mémoire, recherché par la police, mais qui détient une véritable banque de données sur la Malavita.

Carlotto n’est pas un styliste. Son style est d’une extrême simplicité, celui d’un homme d’action, son langage cru. Un reste de ses convictions transparaît quand il présente les industriels du Nord-Est, qu’il déteste, sans pouvoir en faire une description de mœurs qui n’est pas son genre.

La ville de Padoue n’est pas le théâtre exclusif de ses romans, mais elle demeure le port d’attache de Buratti. C’est là qu’il a son bar, il en connaît tous les quartiers, le Portello, l’Arcella, le centre avec la Piazza dei Signori, l’ancien ghetto, mais aussi le Prato della Valle, la plus grande place d’Europe et refuge des toxicomanes...

Le Groupe des 13.

De Padoue, nous allons à Bologne. Cette très ancienne ville universitaire, et centre de la gastronomie, est aussi la ville du Giallo. En effet, c’est à Bologne que se forma en 1990 il Gruppo dei Tredici, qui en réalité n’étaient que 12, dix écrivains et deux dessinateurs, intéressés par le roman policier. Les plus célèbres de ce groupe sont Carlo Lucarelli, Loriano Macchiavelli, Marcello Fois (d’origine sarde), et Danila Comastri Montanari. On ne parlera pas de cette dernière, car son genre est le roman historique, par ailleurs très populaire en Italie.

  

Carlo Lucarelli.

Carlo Lucarelli est bien connu à plus d’un titre en Italie. En effet, il a créé pour la Rai des émissions de télévision ou de radio qui ont eu beaucoup de succès, principalement Blu Notte, Misteri d’Italia, une suite d’enquêtes sur l’attentat de Bologne, le drame d’Ustica, l’assassinat de Pasolini et autres énigmes demeurées sans solution. Cette émission, qu’il animait lui-même, et qui a duré trois ans, l’a rendu célèbre dans toute l’Italie. Le dernier épisode, la Mattanza, le massacre, se base sur l’histoire récente de la Mafia.

Certains de ses romans reprennent cette manière d’enquête policière, par exemple sur les tueurs en série, avec le cas du tueur de Florence. Le sujet de la guerre l’inspire également, l’espionnage dans l’Allemagne nazie avec « il trillo del diavolo », ou la guerre d’Espagne avec « Guernica ».

Ses romans policiers se déroulent pour la plupart dans la ville de Bologne, que Lucarelli connaît bien. Longs ou brefs, romans, nouvelles et bandes dessinées, pour adultes et adolescents, ses écrits nous présentent plusieurs types de détectives, le principal étant Marco Coliandro, policier gaffeur, impulsif et plutôt stupide, qui avec une jeune femme punk Nikita , bute involontairement sur la solution des énigmes, qu’il ne pourrait résoudre sans l’aide de Nikita. Son langage cru et direct convient au style choisi par Lucarelli, qui emprunte aux medias modernes et aux « fumetti » (bandes dessinées)

Le personnage de Coliandro a fait l’objet en 2004 d’une série télévisée à succès, qui se déroulait dans la ville de Bologne.

Loriano Machiavelli.

A l’origine acteur et metteur en scène, Loriano Machiavelli a créé lui aussi un personnage de policier bolonais pittoresque et courageux, le sergent de police Sarti Antonio, Sans imagination, il se fait aider d’un éternel étudiant, ancien contestataire, et d’un jugement infaillible, Rosas. Sarti Antonio est le héros d’une vingtaine de romans avec pour théâtre Bologne. Sa présence est complétée de personnages de la police ou de la justice assez bien campés, toujours les mêmes, et pour cela appréciés des lecteurs. La série, commencée en 1974, a été portée à la télévision de nombreuses fois de 1983 à 1996. Sarti Antonio est un plaisant personnage, Bien que poursuivi par les insomnies et une colite chronique, il reste fidèle au devoir et respectueux de la hiérarchie, bien peu reconnaissante envers lui. Sa nourriture est celle d’un célibataire au réfrigérateur le plus souvent dégarni, et qui compense ce défaut par sa capacité reconnue à préparer les meilleurs cafés.

Très difficile dans le choix de ses bars, vu ses exigences pour le café, il l’est aussi pour les restaurants, d’autant que ses moyens ne lui permettent pas de choisir les plus réputés.

Sa connaissance de Bologne ne se limite pas à la topographie, elle englobe le passé de la ville, ses monuments, de San Petronio aux sept églises agglutinées de Santo Stefano, en passant par les nombreux couvents et les deux fameuses Tours penchées. Sans cesse il parcourt ses rues aux longues arcades et leurs peintures, il s’attache aux vieux palais et déplore les excès de l’urbanisation, connaît tout, même le lieu de l’ancien ghetto, jusqu’à se souvenir, dans « i Sotterranei di Bologna », que les barques venaient jadis de la Mer Adriatique jusqu’au centre de Bologne pour y charger la soie,, empruntant des canaux désormais couverts pour la plupart et qui font désormais partie du réseau d’évacuation des eaux usées.

Les romans qui mettent en scène Sarti Antonio sont peu à peu traduits en français; mais les références implicites qui y sont faites aux précédents romans de la série pourraient gêner le lecteur.

  

©ACORFI