La palette de Véronèse exerça sur ses contemporains une véritable fascination. Cette fascination exprimée plus tard par Tiepolo et Delacroix existe toujours.
Rappelons d’emblée que les couleurs claires ne sont pas dans la tradition vénitienne et en cela Véronèse innove et éblouit. En effet l’école vénitienne (pensons à Carpaccio, Giorgione et Titien) est une adepte de la peinture atmosphérique et/ou tonale : (Cf. : Giorgione). Véronèse s’en démarque comme il se démarque de la dramaturgie sombre de Tintoret dont il est l’antithèse par une palette claire, lumineuse et des contrastes osés (c’est San Rocco contre San Sebastiano !).
Ce que Véronèse retient du tonalisme vénitien c’est l’usage de couleurs rompues qui permettent des transitions harmonieuses. Véronèse séduit par ses couleurs qui renforcent la sensualité de ses tableaux: sensualité colorée des chairs qui vivent, respirent, des étoffes qui scintillent et des soies qui crissent par leurs zébrures enlevées et lumineuses. Véronèse pratique par ailleurs des accords dissonants même surprenants pour l’époque, ce qui fait de lui un coloriste novateur notamment par la juxtaposition de couleurs complémentaires. (Cf. : Mars et Vénus et un cheval, l’Enlèvement d’Europe cf la Belle Nani). Cette clarté de la palette s’explique par le recours aux « cangianti » c’est à dire au fait que l’ombre n’est pas représentée à l’aide de noir incorporé à la teinte que l’on veut ombrer mais en juxtaposant deux couleurs distinctes.
D’autre part ses ombres sont transparentes. Véronèse ne recherche pas les effets dramatiques du clair obscur (exception: La Tentation de St Antoine), il subordonne sa couleur à la suggestion de la matière et les matières, il les trouve dans cette Venise industrieuse et somptueuse (à chaque tissu sa couleur, l’orient des perles et les carnations de ses portraits).
Ce qui est cependant paradoxal c’est que Véronèse nous montre un luxe interdit à Venise mais qui est nécessaire à l’image que l’on veut donner de soi (commandes privées) et de la ville (commandes publiques).
Véronèse, véronais de formation est bien vénitien dans son œuvre par sa maîtrise du colorito !
Novateur par sa palette Véronèse dépasse Titien par la fermeté de son dessin qui exalte les formes. Véronèse transcende la querelle du disegno et du colorito et fait mentir Vasari qui reproche aux vénitiens de ne pas savoir dessiner et au fond de ne pas être des intellectuels. L’exposition du Luxembourg contredit Vasari non seulement en montrant des dessins de Véronèse mais en exposant des modelli, croquis préparatoires au tableau final ainsi qu’en montrant des œuvres où le dessin est parfaitement maîtrisé et très plastique (Cf. : brocarts) : génial !
Lucrèce
L’énergie des tableaux de Véronèse vient en partie des compositions fondées sur l’organisation de groupes compacts dans lesquels la varietas qui est une caractéristique de son esthétique permet l’exaltation des couleurs et de leurs complémentaires, le vêtement prend part à l’action qui renforce le drame : cf Suzanne et les vieillards et l’Enlèvement d’Europe.
Véronèse en peintre qui maîtrise la composition classique recourt à la composition pyramidale, centralisée mais il l’intègre dans une véritable scénographie: il reprend et réactualise le principe de la frise pratiquée par Carpaccio mais sur fond d’architecture antique conformément aux valeurs de l’humanisme en vogue (surtout celui de Daniele Barbaro fin connaisseur de Vitruve et rappelons le, mécéne de Véronèse). Il multiplie les points de fuite.
Ses scènes intègrent deux moments distincts dans un déploiement panoramique assez théâtral: c’est voulu, il faut créer quelque chose d’extraordinaire, d’intemporel comme quand on installe des décors éphémères dans les villes dans lesquelles évoluent les gens en costume contemporains.
La présence récurrente de l’architecture dans la peinture de Véronèse a pour but de renforcer la dimension respectable ou noble des personnages représentés mais aussi, insidieusement, véhicule une image somptueuse de Venise.
Suzanne et les viellards