Les œuvres de Véronèse exposées au Palais du Luxembourg qui représentent le mieux cette esthétique sont au nombre de quatre :
L’allégorie n’est pas naturaliste par essence, ce langage pictural est largement employé par l’arte di maniera ou bella maniera. L’œuvre est aussi maniériste par la composition, ici la position du personnage, fort peu vraisemblable, lui donne un air mal assuré.
On peut déjà apprécier la qualité du dessin de Véronèse.
Le maniérisme correspond au changement de situation de l’artiste notamment à Florence. L’artiste se définit comme un intellectuel et non plus comme un simple imitateur de la nature. Les caractéristiques des œuvres maniéristes sont des compositions bourrées, des raccourcis et la recherche d’effets avec le clair-obscur.
L’artiste cherche à répondre au questionnement du thème par un « comment ». Ici Véronèse veut montrer la puissance des sollicitations du Mal qui taraudent Saint Antoine, plutôt que l’origine du mal, ceci explique la boursouflure de la musculature du faune inspirée de Michel-Ange, le contraste entre la beauté de la femme et ses ongles crochus qui en font une beauté diabolique et redoutable. Un puissant clair-obscur fait surgir violemment le mal, le raccourci terrasse le vieil ermite, une composition en diagonale suggère la glissade.
D’autre part Véronèse recherche à renforcer le coté dramatique d’une scène vécue (réponse au comment) et non pas au pourquoi d’un tel combat, ce qui n’aurait pas abouti à une représentation d’une telle force.
Cette manière de peindre ne plaisait pas à tout le monde notamment aux partisans de la Contre-Réforme : Véronèse ne fut pas payé.
La tentation de St Antoine
On peut parler à propos de Véronèse de maniérisme tempéré : ce qui semble signifier qu’il est singulier.
L’humanisme atteint Venise tardivement : rappelons que Venise au 15e siècle n’est pas une capitale intellectuelle et qu’elle n’a pas d’université. Sa première bibliothèque due à Sansovino sera construite après 1584. Elle n’avait pas de quoi accueillir décemment le legs d’ouvrages antiques du Cardinal Bessarion en 1464 !
Venise émerge en tant que centre intellectuel avec l’arrivée de l’imprimerie en 1469 avec deux grandes figures : Jean de Spire et Alde Manuce. Avec eux l’Europe lettrée regarde vers Venise, en effet 100 à 200 ateliers d’imprimerie y fonctionnent, et entre 1480 et 1500 on y a imprimé 1 125 000 ouvrages. D’autre part Venise accueille des humanistes et des savants qui quittent Byzance ou l’Espagne de l’Inquisition.
Véronèse peintre officiel (après avoir gagné le concours de la Libreria ?) était introduit dans les milieux humanistes de sa cité d’accueil. Son protecteur était l’un de ces éminents humanistes D. Barbaro, patriarche d’Aquilée, promoteur du nouveau programme iconographique du palais des doges pour lequel il a travaillé.
Ces brillants humanistes vénitiens redécouvraient avec fascination l’Antiquité: D Barbaro par exemple publia en 1556 la première édition vénitienne du « De Architectura » de Vitruve à laquelle Véronèse participa en l’illustrant.
Portrait de Daniele Barbaro
Ces intellectuels apprécient particulièrement l’allégorie et les sujets mythologiques, langages codés qui nécessitent une culture classique importante et une maîtrise de la métaphore.
Plusieurs allégories sont présentées dans cette exposition :
Véronèse humaniste s’exprime dans de somptueux sujets mythologiques qui représentent un tiers des œuvres exposées, c‘est dire que la lecture des passions humaines par ce truchement était particulièrement prisée.
Véronèse y excella. Ses sources sont multiples : les textes antiques notamment grecs publiés par Alde Manuce et ses suiveurs mais aussi latins comme les métamorphoses d’Ovide exécrées de la Contre-réforme ou encore l’histoire romaine de l’historien latin Tite-live, mais aussi un ouvrage contemporain publié à Venise par Vicenzo Cartari : les images des dieux des anciens.