Année 2004-2005 : 25 janvier 2005

Paolo Veronèse,

par Gisèle KARCZEWSKI

 

1. La Venise de Véronèse

Présentation socio-économique 

Une extrême opulence

Au milieu du 16ème siècle Venise est une cité d’une extrême opulence, peuplée de 150.000 habitants (moins de 75000 actuellement) .

Certes la thalassocratie est malmenée: les Turcs sont en train de boucler la Méditerranée orientale, l’empire vénitien se contracte même si en 1571 Venise gagne la Bataille de Lépante, victoire au demeurant sans grand lendemain.

La richesse de Venise désormais provient aussi de la Terre ferme où les vénitiens ont eu la perspicacité d’investir dans de vastes domaines fonciers dont les villas palladiennes sont actuellement les prestigieux vestiges.


Dessin de l’allégorie Venise triomphante

Une ville industrielle

Venise développe l’industrie de la soie : 30000 hommes et femmes souvent venus de Lucques travaillent dans les métiers de la soie en 1560, Venise surpasse même Byzance dans le domaine !

L’arsenal a pris une dimension phénoménale, grand gagnant de la course aux armements que connaît l’Occident. Il est aux dires de Philippe de Commynes « la plus merveilleuse chose qui soit au monde » ou l’Enfer selon Dante.

25 ha, 16 000 ouvriers qui sont capables de produire 100 galères en 2 mois par exemple vers 1570 en adoptant des méthodes fordistes. Venise a par ailleurs reconquis le marché des épices en surmontant de manière magistrale la crise du poivre occasionnée par les Portugais qui ont ouvert la route du Cap de Bonne Espérance au début du 16e siècle. Formidable souplesse du capitalisme vénitien qui fait de Venise au 16e siècle un « stato di mar » et un « stato di terra » plus prospère qu’au 15e siècle et même fabuleusement riche, avec force ateliers qui travaillent la laine, le verre, la soie et les métaux précieux, ce qui permet peut-être d’occulter le contexte géopolitique préoccupant annonciateur du déclin. Il y a dans cette situation économique prospère l’explication de la somptuosité des œuvres de Paolo Véronèse.

Des demi-dieux enchaînés

Le deuxième point qu’on peut évoquer, c’est le statut social de l’artiste à Venise.

Dans les autres cités italiennes, notamment toscanes, l’artiste peintre au 16e siècle est émancipé des guildes ou corporations d’artisans. Or à Venise, Véronèse qui se dit «  peintre de figures » a du obligatoirement s’inscrire dans une guilde appelée « Arte dei depentori » la plus ancienne d’Italie (1271) qui regroupait aussi bien des doreurs  sur cuir que des peintres de bannières. Cette organisation était sous contrôle de l’Etat, il était impossible d’y échapper sous peine d’être sanctionné et exclu de la cité , elle était par ailleurs fermée aux « forestieri » (Cf. : Durer qui trouvait ses collègues vénitiens inamicaux et qui subit des sanctions de la part des magistrats de Venise). La situation est paradoxale pour des maîtres considérés comme des demi-dieux mais qui malgré tout, par cette structure rigide étaient protégés de la concurrence extérieure.

Un contexte artistique agité

Autre élément fondamental pour appréhender l’œuvre de Véronèse : la controverse du colorito et du disegno alimentée par G. Vasari. L’école vénitienne se distingue par une esthétique fondée sur le « Colorito »  et le « Tonalisme » c’est à dire que les peintres vénitiens créent leurs figures à l’aide de la seule couleur et dans une unité de tons alors que les autres écoles de la péninsule italienne notamment l’école romano-toscane d’où est issu Vasari défendent le « Disegno » c’est à dire la forme élaborée par le dessin que la couleur complète. Cette controverse, Véronèse va la dépasser de manière magistrale. On le verra plus tard dans une synthèse éblouissante.

 

Une artificialisation de l'art : la bella maniera

Le deuxième aspect de ce contexte artistique italien c’est  une modification de style qui a suivi la mort des artistes de la Haute Renaissance (Léonardo, Raphael et Michel-Ange) et qu’on a baptisée à la fin du 18e siècle Maniérisme ou Bella Maniera .

Ce style arrive à Venise en 1540  avec deux artistes maniéristes : F Salviati et G. Vasari qui ébranlent le système de valeurs des Vénitiens: momentanément y domine la « Bella Maniera » ou « Maniera Moderna » expressions préférables à maniérisme. Là encore Véronèse ne se laissera pas longtemps enfermer dans cette esthétique qu’il dépassera.

Un humanisme prégnant

Sur cette toile de fond polémique, il faut ajouter que Venise est en plein dans le contexte humaniste de la Renaissance caractérisé par l’amour de l’Antiquité qui se traduit dans les programmes architecturaux (Palladio, Sansovino, Scamozzi), et la passion de la gloire que Véronèse va incarner merveilleusement.

Chapitre précédent

 

©ACORFI