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Au 18e siècle, Naples est une étape incontournable pour les jeunes aristocrates européens sur le chemin du « Grand Tour ». J. C. Richard de Saint Non (1727-1791) fait en 1760 le voyage en Italie en compagnie de Fragonard et d’Hubert Robert. Le récit est édité dans « Le voyage pittoresque à Naples », ouvrage illustré de nombreuses gravures.
Les « gouaches napolitaines » sont un des souvenirs de voyage pittoresque, facile à transporter et relativement peu coûteux que les « touristes » acquièrent volontiers. Pour les artistes elles présentent l’avantage d’une exécution rapide, pouvant se faire à la demande et, à la différence des peintures à l’huile, sans la contrainte du temps de séchage. Le genre connaît un succès considérable qui ne faiblira qu’à la fin du 19e siècle avec l’arrivée sur le marché des photographies.
Les sujets représentés sont variés : baie de Naples, ruines, costumes napolitains, éruptions du Vésuve. Nous n’examinerons ici que ces dernières. Elles représentent souvent des scènes de nuit, permettant de beaux effets de couleur et correspondant au goût du «sublime » alors en vogue. Ce sujet satisfaisait aussi la soif de connaissance scientifique du public : la géologie était à l’honneur depuis le tremblement de terre de Lisbonne le 1er novembre 1755 (50 000 à 100 000 morts)…
Les caractéristiques de ces gouaches sont :
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- leur format réduit permettant un transport aisé, leur collection dans des albums, voire même, leur envoi comme cartes postales ;
- leur encadrement par une marge noire directement peinte sur le papier ;
- leur facture naïve ;
- le plus souvent, l’échelle donnée par des personnages portant de pittoresques costumes napolitains (souvenirs pour les voyageurs).
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Certaines d’entre elles représentent une série de vues disposées autour d’un thème central. Dans d’autres, la date de l’éruption est inscrite en blanc dans la marge noire (au moins pour les œuvres les plus recherchées, car ensuite les gouaches se multipliant, le sujet devient stéréotypé et ne reproduit pas fidèlement une éruption particulière).
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Pietro Fabris, le dessinateur attitré de lord Hamilton, généralement considéré comme le précurseur du genre, a su représenter avec précision la phase paroxysmale des éruptions de jour et de nuit. La colonne verticale, jaune au centre, rougeoyante en périphérie, les volutes de fumée, l’orientation générale du panache sous l’action du vent et la direction d’écoulement des coulées donnent des indications sur l’éruption. Les éclairs qui sillonnent très souvent le nuage de cendre sont représentés. Les bateaux de pêcheurs et les navires militaires remplissent l’espace et donnent un effet de profondeur. Les reflets dans la mer et les lueurs de l’éruption permettent de somptueux effets de contre-jour. La lune, souvent représentée partiellement masquée par des nuages, équilibre par sa lueur argentée le rougeoiement.
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Les modèles des divers bateaux (présence ou non de roues à aubes, voilure, …) et leurs pavillons français, anglais ou espagnols sont autant d’éléments pouvant permettre de situer l’époque de réalisation d’une gouache lorsque son auteur ne l’a pas datée.
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Il est intéressant de comparer une même éruption, celle de 1794, vue par trois artistes différents. Elle fut extrêmement violente. Le panache de fumée qui obscurcit totalement le ciel est représenté par tous les trois qui, par ailleurs, selon leur tempérament, mettent l’accent sur des aspects différents.
A. d’Anna peint avec précision la morphologie du cône volcanique, le nuage de projections poussé par le vent vers la gauche de la figure, l’obscurcissement du ciel et les éclairs ainsi que la fumée s’échappant de la coulée. Il complète ces éléments volcanologiques par une description fouillée de la procession implorant la Vierge qui constitue un véritable reportage. L’artiste traduit la profondeur en représentant plusieurs plans (le ciel et le volcan à l’arrière, la mer avec des navires plus ou moins proches et le premier plan très animé de la procession). Il joue sur une gamme de couleurs très étendue entre les teintes chaudes (ocre et rouge de certains vêtements), le blanc des tenues religieuses qui répond à celui des flancs du volcan et les tons froids de la mer.
Chez S. della Gatta, la représentation de l’éruption est, quoique moins fouillée, comparable à celle de d’A. D’Anna. Le premier plan, par contre est plus conventionnel : quelques personnages commentant avec force gestes l’éruption.
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La troisième vue de cette éruption, œuvre d’un artiste anonyme, est de facture franchement naïve, à la limite maladroite. Elle est typique de la baisse de qualité qui s’est progressivement installée dans la production des gouaches napolitaines : articles stéréotypés destinés à un public de plus en plus large, mais moins fortuné (préfiguration du tourisme de masse…).
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A côté de cette production en série, des œuvres de qualité continuaient, cependant, d’être proposées. L’éruption de 1822 peinte par S.L. Gentile joue dans des gammes de rouges, de jaunes orangés et de noirs qui rappellent celle de Chevalier Volaire. Gentile n’aurait pas peint une vue nocturne mais aurait voulu évoquer l’obscurité totale qu’engendra le panache de fumée : les trouées de ciel visible sur le tableau seraient celles du jour et non de la nuit.
Comme beaucoup d’autres, cette éruption a aussi été représentée avec élégance sur un éventail.
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