Le mercredi 25 (soit la 4e journée) nous avons pris la direction du sud ; pour alléger l’étape trop longue, il a été décidé de ne pas faire la visite de Saint-Marin, au grand dam des philatélistes, et de gagner directement Rimini et San Leo.
Sur la route n°16, à une dizaine de kilomètres de Cervia, nous avons franchi allègrement et presque sans le savoir le Rubicon. Ce nom prestigieux qui figure aujourd’hui sur les étiquettes du vin local désigne en réalité un torrent toujours tari l’été qui marquait, depuis les conquêtes de la République romaine la limite entre l’Italie proprement dite et la Gaule Cisalpine, limite infranchissable aux armées sans l’autorisation du Sénat. Inévitablement César a été évoqué, et son “alea jacta est” (prononcé en réalité, en grec !) par le truchement du poète Lucain, lequel décrit la confrontation du grand capitaine avec le fantôme de la Patrie en émoi… |
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À partir de Rimini, en suivant le Val Marecchia, entrant dans la province des Marches, plus exactement dans le pays du Montefeltro après un trajet de côtes et de lacets, qui dévoilait çà et là le Mont Titano dominant San Marino, à un détour, nous avons aperçu le nid d’aigle de San Leo, juché sur un éperon de 650 m.
La Rocca méritait bien de figurer au chant 4 du Purgatoire de Dante: “un rocher qu’on atteint par un sentier abrupt”. Nous, nous l’avons atteint grâce à une petite route et un petit autobus conduit d’une main experte par une “chauffeuse“ sans doute autochtone, étant donné sa connaissance innée du terrain…
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Déposés sur la place du pittoresque village, nous avons gravi la pente jusqu’à la forteresse dont on peut admirer le bastion *(PP 106) avec ses tours rondes à mâchicoulis. Cette partie (au nord-est) a été ajoutée au XVe par l’architecte siennois Francesco di Giorgio Martini sur l’ordre de Frédéric III de Montefeltro, duc d’Urbino. Au bout du chemin montueux, une fois la porte franchie, on découvre la forteresse elle-même, minérale et massive ; et de la plate-forme on découvre d’un côté le panorama du pays de Montefeltro qu’elle domine sur un à-pic, et, de l’autre le bourg de San Leo. En parcourant les salles austères et les cachots de la citadelle, nous avons découvert des pièces d’armement et toutes sortes d’instruments de torture comme cette chaise accueillante (cette partie du château étant réservée à un Musée de l’Inquisition) ; nous avons appris que ce lieu que nous pensions inexpugnable fut en réalité pris, par ruse, (en 1516) et passa, en même temps que le duché d’Urbino, aux mains de la Papauté.
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Mais ce qui aiguisa davantage notre curiosité, c’était le séjour (forcé) d’un certain Joseph Balsamo, prétendu Comte de Cagliostro, dont on admire la cellule. Expulsé de France en 1786, condamné à mort en 1791 par l’Inquisition romaine, Cagliostro vit sa peine commuée par “une grâce particulière” en détention à perpétuité perpétuité qui se termina par sa mort au bout de 5 ans 5 ans passés dans une cellule surveillée sans cesse par un guichet. Ses travaux occultes connus d’ailleurs de Casanova sont évoqués dans la reconstitution de son cabinet d’alchimiste.
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Nous ne pouvions quitter le lieu sans nos arrêter au bourg de San Leo dont le nom primitif était justement Montefeltro et qui conserve deux beaux monuments religieux : la petite église de la Pieve, *(PP IO8) le monument le plus ancien de la province, érigé entre le VIIe et le IXe siècle, en style préroman lombard et le Duomo édifié sur une éminence toute proche, de même facture, mais plus récent (XIIIe). En effet la date de 1173 inscrite sur un pilier du transept indique certainement la consécration de l’édifice actuel, reconstruit sur une église antérieure vraisemblablement aussi du VIIe siècle, époque de la cration de son évêché. L’intérieur avec ses tois nefs aux robustes pilastres apparaît d’une rigueur quelque peu austère. La crypte conserve les soubassements de l’édifice primitif bâti à même la roche ; on y trouve les traces du culte de Saint Leone venu de Dalmatie avec son camarade Marino travailler à la construction du port d’Ariminum (= Rimini) ; à peine converti, il a été martyrisé au cours des persécutions de Dioclétien… et sanctifié (Marin aura le même sort). |
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Le visiteur sera peut-être plus sensible aux proportions réduites de la Pïeve et à sa facture rustique qui fait penser aux églises romanes du Languedoc comme Saint Guilhem le Désert. On y trouve les mêmes bandes lombardes et les petites ouvertures soulignées par un bandeau de briques. L’intérieur*(71 86) avec ses trois nefs sans transept, où les pilastres massifs laissent place à quatre colonnes réemployées d’un temple romain donnent une impression de sévère beauté...
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Nous aurions eu envie de flâner davantage; certains courageux ont regagné le point de départ à pied, les autres ont attendu sagement notre habile automédone.
Et nous sommes repartis pour Urbino en direction de la mer, en faisant un grand tour par Pesaro afin d’éviter les routes tortueuses du Montefeltro. Nous avons eu cependant le loisir de contempler le rocher appelé un peu orgueilleusement “Mont Titano” *(70 81), là où se niche la petite République de Saint Marin, fière de ses 61 km2, de ses 675 mètres de hauteur, de ses deux Conseils, de ses deux capitaines régents, de ses 24 gardes nobles et de ses 2875 timbres-poste… dont se moquait gentiment Archibald-Olson Barnabooth, le héros de Valery Larbaud parcourant la Romagne vers 1910…
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Vers une heure de l’aprés-midi, par la route qui vient de l’Adriatique, en suivant la vallée du Fiume Foglia, nous avons aperçu de loin les remparts d’Urbino*(72 15 ?) qui garde de ses origines latines son gracieux nom d’Urbinum Hortense (la petite ville des jardins) et de la magnificence de son prince-soldat (le condottiere Federico de Montefeltro) l’harmonie de son architecture, sans parler de se deux plus illustres enfants, c’est-à-dire le Bramante et Sanzio le fils ou si vous voulez, Raphaël.
“Urbino, disait l’écrivain suisse Georges Borgeaud (disparu en 98), c’est un palais immense sur l’épine dorsale de trois collines, tout seul et premier dans sa gloire, insolite sur ses hauteurs, fabuleux, oriental ou turc, gothique parfois, monastique à l’extérieur, somptueux dans ses appartements.” Ce palais ducal * (72 19) tout en briques roses s’est imposé à nous, dès notre descente de car ; le groupe sauf quelques acorfiens fatigués ou dispensés d’E.P.S. s’est hâté de vérifier l’opinion*(72 24) de Montaigne scellée dans le mur près de la Porta Valbona*(72 20)en gravissant le raidillon appelé Via Mazzini*(72 25), afin d’atteindre au plus vite le hâvre d’une trattoria fraîche et ombreuse, tout près d’une ruelle étroite*(72 37).
Une fois restaurés, nous nous sommes regroupés sur la place du Rinascimento,* (72 41?) d’abord pour admirer le portail de San Domenico *(72 42) et en particulier la “lunette” (P.P.116), œuvre de Luca Della Robbia, puis devant la cathédrale entièrement reconstruite vers 1700 dans un style néo-classique*(72 46) d’une froideur marmoréenne. Tout proche le Palais Ducal offre une façade*(72 51) assez sévère, mais en pénétrant dans le grand “cortile” c’est-à-dire la cour à colonnades (ce que les guides français traduisent bêtement par “couloir” !) du plus pur style Renaissance *(72 56), dû à l’architecte Luciano Laurana et achevé par son collègue Francesco di Giorgio Martini, nous avons eu le choc de la beauté. Ce palais où le Duc Federico *( P.P.118) a inscrit son nom ainsi que quelques devises en latin et qui fut fréquenté par les artistes de son temps est devenu le Musée National des Marches. Nous l’avons visité jusqu’au sous-sol ; mais nous ne nous attarderons que sur quelques œuvres parmi les plus appréciées. Après la montée par l’escalier monumental de Baroccio, nous avons pénétré dans la vaste salle du Trône*(Doc p.10H) ornée de tapisseries des Gobelins faites d’après celles du Vatican de Raphaël, puis dans la salle dites des Anges*(D9H) célèbre par ses portes*(D8H) et ses cheminées*(D8B) pour nous arrêter d’abord dans la chambre du duc avec son alcôve*(D28H), et surtout dans l’étonnant “studiolo”*(D12H)( c’est-à-dire le petit bureau ou le cabinet) du Duc entièrement recouvert de panneaux de marqueterie en trompe-l’oeil **(12B+13HD). Un détail très admiré à ne pas oublier: le petit écureuil ! *(D13HG) A noter également le salon de Iole*(D22B) qui doit son nom aux cariatides de la cheminée, représentant Iole et Hercule.
Parmi les peintures, nous retiendrons subjectivement parfois sans doute et sans suivre l’ordre des salles : le portrait du Duc avec son petit-fils*(D17) de Berruguete ; “La Citta ideale”*(D11B) d’un auteur anonyme de la fin du XVe, le “Rédempteur”*(D16B) de Melozzo da Forli ; la Vierge à l’enfant de Verrochio *(D19) ; la curieuse prédelle de Paolo Uccello dite de la “Profanation de l’hostie” et qui se décline en six tableaux :
- la remise au marchand,
- le sacrilège
- la procession expiatoire
- la condamnation
- le marchand au bûcher
- anges et démons se disputant l’âme de la femme sacrilège“* (D20+21), plus loin “La Pentecôte” de Luca Signorelli *(D29HD) ; surtout les deux grands tableaux de Piero della Francesca: “La Flagellation” datant de 1445* (D15H) et la “Madone de Senigallia” *(D16H).
Mais en quittant le Musée, nous n’avons eu d’yeux que pour ce portrait plein de mystère du grand Raphaël et qui s’appelle “La Muette”*.(D23. Nous pouvons nous arrêter un peu sur ce tableau qui date de 1507, c’est-à-dire contemporain de “La belle Jardinière” du Louvre et qui justifie bien ce jugement de Casanova (mais oui!): “Raphaël , celui qu’aucun peintre n’a surpassé dans la beauté des figures…”
Et après ces émotions esthétiques, sans transition, prosaïquement, la visite s’est achevée dans les sous-sols *(P.P.122) du Palais où l’on trouve caves, cuisines, buanderie, écurie (PP.121) et même une salle de bains privée, avec eaux thermales ! et accès secret pour le Duc… Ce Duc Federigo “singulier et attachant condottiere qu’immortalisa Piero della Francesca“* (D25) et qui aurait bien mérité lui aussi le surnom de Magnifique.
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