Retour à la page de présentation des conférences de la saison 2013-2014 8 avril 2014
Le romancier Roger Vailland (prix Goncourt 1957) et l'Italiepar André LINGOISAvant de commencer la vice-présidente, Marie-Hélène Viviani, rappelle les nombreuses conférences présentées par André Lingois à l’Acorfi depuis ses débuts. Un sujet fréquemment abordé est celui des relations de voyages en Italie des écrivains français, ou des romans que l’Italie leur a inspiré. Le dernier voyage en Italie de notre association, auquel participait André Lingois, lui a permis de revisiter une région qu’il connaît bien, celle du Gargano. Cette région est le cadre du roman de Roger Vailland intitulé “La Loi”, thème de la conférence. Disons d’abord qu’André Lingois entendit donner à sa conférence une allure toute personnelle, qui fut particulièrement appréciée. Tout en suivant un plan rigoureux, il sut par son aisance de parole, son érudition, considérable mais qu’il mettait lui-même en question, son sens de l’anecdote, son empathie avec l’auditoire, amener celui-ci à une participation active et spontanée. On évoquait avec lui les contemporains de l’écrivain, on se rappelait les noms des mouvements littéraires, on lui venait en aide en choisissant les illustrations parmi celles qu’il avait sélectionnées, bref on entrait peu à peu dans le ton qu’il avait choisi, celui de l’entretien, cher aux acorfiens, bien éloigné de la conférence magistrale. Bien entendu, ceux d’entre nous qui connaissaient bien les écrits de Roger Vailland ou avaient lu “La Loi” se trouvaient le mieux au rendez-vous. C’est dans cette ambiance que nous fut présentée la vie de Roger Vailland, et les lieux où il vécut, principalement dans l’Ain et la Bresse, par une carte, des portraits, les maisons qu’il habita. On apprit que Roger Vailland avait été résistant, journaliste, reporter de guerre, grand voyageur, on nous rappela ses dépressions et ses expériences avec la drogue ou l’alcool. On connut son caractère orgueilleux, son dandysme, ses démêlés avec le dadaïsme, avec le surréalisme, mais aussi sa conviction communiste et la déception qu’il en retira. On sut qu’il avait fait huit séjours, parfois brefs, en Italie, le plus long dans la fabuleuse villa de Malaparte à Capri prêtée par l’écrivain italien. On connut ses autres “intercesseurs”, comme les appelait le conférencier : Stendhal, Casanova, le Cardinal de Bernis. Mais peut-être ce que l’Italie apporta le plus à Roger Vailland est venu de son épouse, Elisabeth Naldi, qu’il appelait Lisina. Exilée en France avec toute sa famille, par suite de l’opposition de son père à Mussolini, elle partagea la vie de Vailland, dont elle était très éprise. Mélange de trois cultures (russe par sa mère), intelligente et cultivée, elle exerça sur Vailland, qu’elle poussait à écrire, une très forte influence, et maintint le souvenir de l’écrivain après sa mort précoce. “La Loi” n’était pas la première expérience littéraire où Vailland parlait de l’Italie. Il y avait eu déjà “Beau masque” et “325.000 francs”, où l’Italie jouait un rôle secondaire, et dont le conférencier nous décrit la trame. Mais dans “La Loi” toute l’action se déroule en Italie, dans une ville imaginaire du Gargano que Vailland a appelée Porto Manacore. Le roman obtint le prix Goncourt en 1957 et fournit le sujet du film du même nom - peu réussi paraît-il - de Jules Dassin, avec pourtant à l’affiche de très grands acteurs. Le nom de “La Loi” vient d’un jeu de cartes pratiqué dans les bars du Sud de l’Italie, jeu à boire - le gros vin de 14 degrés comme nous dit André - mais dont l’objet principal est la désignation d’un patron, qui acquiert de ce fait le droit de s’acharner sur l’un des joueurs, de l’interpeller sur un sujet intime, et de l’humilier, quand ce dernier est contraint par “La Loi” de rester muet et soumis.
Le personnage principal du roman est un riche propriétaire terrien, Don Cesare, qui de naissance détient tous les droits dans la petite ville de Porto Manacore, en particulier sur ses ouvriers et son personnel de maison, les servantes devenant ses maîtresses de mère en fille. Don Cesare se trouve au-dessus des lois, mais les autorités locales le respectent. Don Cesare est passionné par l’antiquité grecque et collectionne les pièces antiques que lui apportent ses ouvriers du site d’Uria, une ville disparue sur laquelle il écrit en secret, et qui ne serait pas imaginaire paraît-il. André Lingois nous parle encore des personnages principaux de “La Loi”, le commissaire, le juge, l’ingénieur agronome venu du Nord, et surtout la jeune, belle et farouche servante Mariette. Il y a aussi un personnage du genre mafieux; il a sa demeure dans le château de Porto Manacore, qui serait l’un de ceux que l’empereur Frédéric fit bâtir en Italie méridionale. D’autres personnages, les femmes des notables, le fils étudiant du mafieux, sont eux aussi présents, comme ceux qui appartiennent au “chœur antique”, les pêcheurs, les touristes, les “gualtieri” (la bande de jeunes voleurs). Le rôle joué dans l’économie par la “Cassa del Mezzogiorno” n’est pas oublié. Le peuple italien de Porto Manacore est celui d’une ville méridionale des années cinquante, avec des coutumes encore proches de celles qu’on voit dépeintes dans “Le Christ s’est arrêté à Eboli”, de Carlo Levi. Mais l’engouement pour les scooters alors à leurs débuts, l’attachement à la vieille automobile (en l’occurrence une Topolino), qu’on nous fait remarquer, situent bien leur époque. Le conférencier nous renseigne sur la réception que reçut le roman quand il fut traduit en italien. Or les jugements des italiens furent dans l’ensemble très défavorables, voire hostiles, ils faisaient pour certains allusion aux stéréotypes sur l’Italie dont les français sont coutumiers. Seul le grand écrivain Silone aurait défendu “La Loi”. En tentant de définir le genre du roman, André le qualifie de sociologique. Il le compare - avec réserves - au “Guépard” de Lampedusa, qui parut un siècle plus tôt. Il donne à comprendre que le jeu “La Loi” peut être transféré dans la réalité de ce microcosme féodal, et en même temps il émet des doutes sur l’authenticité du jeu décrit par Vailland, et n’en comprend pas bien la cruauté morale. Une mention spéciale est faite par André du fameux “trabucco” ou machine à pêcher, du haut de la falaise, en interceptant les bancs de poissons. Quant au lieu imaginaire de la narration, Porto Manacore, il serait inspiré par la ville de Rodi Garganico. Tout en remarquant au roman un petit côté “roman policier”, André Lingois termine sa conférence en comparant de nouveau le jeu “La Loi”, qu’il appelle un jeu d’influence, métaphore de la société, et le malheur du Sud de l’Italie, condamné par la malaria et le chômage, mais surtout par la stratification complétement figée de la société. Sans doute les auditeurs ne s’étaient-ils pas encore suffisamment exprimés au cours de la conférence, car de nombreuses questions fusèrent encore à la fin. Toutes reçurent leurs réponses, puis les applaudissements nourris des acorfiens montraient bien leur satisfaction de cette bonne soirée. |