Retour à la page de présentation des conférences de la saison 2011-2012 10 avril 2012
La via Francigenapar Pierre STAELEN
La Via Francigena est un chemin de pélerinage qui mène à Rome. Le Conseil de l'Europe en a fait un itinéraire européen en la plaçant parmi les itinéraires culturels appelés "Aux racines de l'Europe". L'origine de la Via Francigena remonte au Moyen-Age, quand des foules de pélerins se dirigeaient vers Rome afin d'y vénérer le tombeau de Saint-Pierre. La plupart venaient du pays des Francs, d'où le nom de Via Francigena . Il existait alors plusieurs routes de pélerinage. La plus connue est la route que Sigeric, évêque de Canterbury en Angleterre, suivit en l'an 990 quand il fut nommé archevêque. Il dut alors se rendre à Rome pour recevoir du Pape le "pallium" c'est-à-dire l'étole d'archevêque. On connaît la route qu'il a suivie car on a retrouvé les 80 étapes journalières de son voyage de retour sur un manuscrit, parmi les archives de la British Library. En suivant sur la carte le trajet de la Via Francigena, on s'aperçoit qu'elle suit une ligne presque droite, en utilisant ce qui restait en 990 des voies romaines, en l'occurrence les voies Agrippa. Les points critiques de son parcours sont le passage des Alpes par le col du Grand Saint Bernard, la traversée du Pô au gué de Calendasco, à l'est de Pavie, et la traversée des Apennins par le col de la Cisa (tous ces lieux géographiques sont ici désignés par leurs noms actuels). Les villes-étape ou "mansiones" de Sigeric étaient des établissements hospitaliers, ou des monastères. On trouve parmi elles les noms de villes encore connues de nos jours, mais aussi les noms de localités aujourd'hui disparues, ou demeurées de simples villages. La conférence se propose de parcourir la Via Francigena, mettant en évidence certaines de ces villes-étape. La Via Francigena se trouve à l'écart des grand'routes touristiques, et permet de découvrir des sites peu fréquentés, des paysages tranquilles, et aussi de s'apercevoir combien la France et l'Italie, en l'an 990 si semblables, sont maintenant contrastées dans leurs modes de peuplement. Ce voyage en imagination est aussi une incursion dans l'histoire, en rappelant divers grands personnages du passé, tels saint Thomas Becket, Chaucer, Dante Alighieri, Liutprando roi de Lombardie, Philippe-Auguste, Otton Ier et Henri VII empereurs d'Allemagne, Napoléon, bien d'autres encore, et permet d'évoquer des batailles oubliées comme Tourtour ou Fornoue. Citons ici quelques-unes des villes souvent oubliées, et mises en relief durant la conférence : du côté français Arras, Laon, Langres, etc... et du côté italien Vercelli, Pavie, la Lunigiana, à Sienne Santa Maria della Scala, Acquapendente, Viterbe, Montefiascone, Sutri, etc... En architecture l'auditoire sembla particulièrement intéressé par les images des "pieve", humbles églises bâties au Moyen-Age sur le parcours de la Via Francigena, ou celles des fermes fortifiées de Toscane et du Latium, ou des abbayes cisterciennes de style roman-lombard. Au Moyen-Age les pélerinages déplaçaient d'énormes foules, surtout le pélerinage Francigena. On venait de loin pour participer à ces pélerinages, non seulement d'Angleterre et de France, mais aussi d'Allemagne et d'Europe Centrale, de Scandinavie, ou même d'Islande, comme en 1150 l'abbé bénédictin Nikulás du monastère de Munkathverá, qui emprunta la Via Francigena à partir de Lausanne. Il est plusieurs fois question de Nikulàs durant la conférence, son journal de voyage étant plus complet que celui de Sigeric. À partir de l'an 1300 la création des jubilés favorise les pèlerinages, en plein développement quand dans son oeuvre appelée "Vita Nova" Dante appelle "palmieri" les pèlerins allant à Jerusalem, "peregrini" ceux de Saint-Jacques de Compostelle, et "romei" les pèlerins allant à Rome. À partir de 1450 les pèlerins se firent de moins en moins nombreux, jusqu'à notre époque où la ferveur des jubilés, mais aussi la pratique de la randonnée, favorisent un grand renouveau des chemins de pèlerinage. Moins connue en France que le chemin de Saint-Jacques, la via Francigena est popularisée par les Régions comme le Nord-Pas de Calais et la Champagne-Ardennes, et surtout les nombreuses et actives associations de pèlerins et randonneurs (on trouvera ci-après quelques adresses internet intéressantes à consulter).
La ville papale où Sigeric arriva était bien différente de la Rome actuelle. Après la remise solennelle par le Pape du pallium dans l'ancienne basilique Saint-Pierre, Sigeric est resté deux jours à Rome, en visitant chacune des 23 églises de la ville, avant d'entreprendre son retour vers Canterbury, celui dont nous avons gardé la trace et qui constitue l'itinéraire authentique de la Via Francigena. La distance parcourue, à raison de 20 kilomètres par jour pour un nombre de 80 étapes, serait de 1.600 kilomètres. L'itinéraire actuel est plus long, car son parcours est plus sinueux que celui de Sigeric. En particulier, il utilise les chemins de randonnée et substitue parfois d'autres villes aux lieux d'étape indiqués par Sigeric. Au total il est d'environ 1.800 kilomètres. Plusieurs conclusions étaient possibles à ce voyage dans le temps : celle qui fut donnée lors de la conférence, c'est la grande surprise d'observer qu'il y a 1.000 ans on entreprenait sans hésiter de si longs voyages, éprouvants et dangereux, dans une Europe qui ne portait pas encore son nom, mais d'autant mieux européenne que les nations n'existaient pas encore.
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