Retour à la page de présentation des conférences de la saison 2010-2011 14 décembre 2010
"I morti di Bligny giocano a carte" de Curzio MALAPARTEpar Alain SEGALMonsieur Alain Segal, notre conférencier, est venu de Reims pour cette présentation. Membre du comité de jumelage Reims-Florence, il connaît bien la littérature et l’histoire italienne, et en particulier le journaliste-écrivain toscan Malaparte. Invité par notre Vice-Présidente, Alain Segal s’est trouvé parfaitement à l’aise parmi nous et nous a fait cadeau d’une conférence très accessible, comme une causerie, abondamment illustrée, et passionnante de bout en bout. Le sujet est le beau et long poème de Malaparte intitulé : ”I morti di Bligny giocano a carte”. Une partie de ce poème nous est lue par Alain Segal en traduction, et une autre par Marie-Hélène Viviani dans le texte italien. Le poème évoque le sacrifice de combattants italiens de la Grande Guerre, tués sur le front français en 1918 au cours de la deuxième bataille de la Marne. À Bligny se trouve un immense cimetière militaire italien, qu’Alain Segal nous décrit fidèlement. Il connaît bien la région puisque le village de Bligny, situé à l’est de la Montagne de Reims, se trouve à 800 mètres de son ancien domicile, et ses descriptions de la bataille, aidées par sa connaissance des lieux, ses cartes et ses photos, nous la feront revivre intensément. Bataille à laquelle Malaparte participa lui-même comme jeune sous-lieutenant d’une section de chasseurs alpins italiens, les fameux “arditi”. Jeune engagé, il combattit d’abord sur le front italien, puis obtint de faire partie du détachement italien créé par les petits-fils de Garibaldi pour combattre en France. La défense héroïque du bois de Bligny, point de haute valeur stratégique, fit beaucoup de victimes italiennes, atteintes par les éclats d’obus ou asphyxiées par les gaz. Citant le poème de Malaparte, et s’appuyant sur d’autres de ses écrits, Alain Segal nous décrit avec chaleur ces soldats paysans, venus des Alpes ou d’Ombrie, combattant sans abris, dépourvus de tout, matériel ou nourriture, et les assauts tragiques où ils s’élancent soutenus par leur foi. Malaparte lui-même faillit y disparaître. Gravement atteint par l’ypérite, il fut hospitalisé. Il reçut de la France plusieurs décorations, dont la Croix de Guerre avec palmes. Pour bien comprendre comment est né le poème, Alain Segal nous relate la vie de Malaparte et son cadre historique. Kurt Suckert, qui choisira plus tard le nom de Malaparte par opposition à celui de “Buonaparte”, était né en 1898 à Prato (Toscane), d’un père protestant, autrichien d’origine. Externe au Collège de Prato, il choisit très jeune le journalisme et l’écriture. Après la guerre, il jugeait comme alors beaucoup d’italiens que les traités de Paix avaient désavantagé l’Italie, et suivit plus ou moins le courant du fascisme italien. C’est lors de cette période qu’il écrivit ce poème en 1937, et le fit éditer en 1939. Le régime sut en tirer parti par la voix de Mussolini lui-même. Entretemps il était devenu l’un des premiers noms du journalisme italien. Mais une personnalité aussi indépendante que la sienne, ne pouvait se trouver à l’aise avec le régime de Mussolini. Pour ses écrits, “Don Camaleo” (Monsieur Caméléon) et “Technique du coup d’état” (écrit en français) il est confiné aux îles Lipari, et mis en résidence surveillée durant cinq ans. C’est durant cette période qu’il rencontre Virginia Agnelli, veuve d’Edoardo Agnelli et mère de “l’Avvocato”. Malaparte continue d’écrire, et aussi de multiplier les conquêtes féminines. À partir de 1940 il devient correspondant de guerre. Eloigné sur le front finlandais, il y trouve le sujet de son livre “Kaputt” qui sera un succès mondial. Ce livre et “La pelle” (la peau) l’ont enrichi et il peut aménager la villa nommée “Come Me” (comme moi) qu’il a fait construire à Capri dans une position exceptionnelle. C’est l’occasion pour notre conférencier de nous décrire la villa, accessible principalement de la mer, dotée d’un escalier extravagant, et ses hôtes, parmi lesquels l’écrivain Roger Vaillant son ami. Roger Vaillant était rémois, et Alain Segal nous cite des extraits choisis de ses lettres, qui mettent en parallèle les deux hommes, si différents et si proches, deux mythomanes dit-il. Il nous rappelle également par des vues le film “Le Mépris” de Jean-Luc Godard, tourné dans la villa. Malaparte, aux capacités multiples, a lui même tourné en Toscane un film appelé “Il Cristo Proibito” (le Christ interdit). Il a aussi écrit plusieurs pièces de théâtre. Il s’exprimait couramment, non seulement en italien et en français, mais aussi en anglais et en allemand. L’aperçu biographique se termine par la maladie de Malaparte qui provoque son retour forcé de Chine (il voulait y voir de près l’expérience communiste, qui alors le tentait). Selon un Père Jésuite qu’il avait demandé, il se serait converti au catholicisme avant de mourir, désavouant son livre “La Peau” et son inscription au parti communiste. Mais Malaparte était tant de personnes à la fois, semble dire notre conférencier dans son incertitude... Nous apprenons enfin que le tombeau de Malaparte se trouve sur le mont Spazzavento (qui balaye le vent). Ce mont de 500 mètres, et dont le nom seul donne le frisson, se situe à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Prato. Son accès difficile devait sûrement convenir à Malaparte et à son indépendance d’esprit. Cette dernière évocation fut l’un des temps forts de la conférence qui se déroula devant une salle très attentive ne ménageant pas ses marques d’intérêt, par exemple en apprenant les coups de main tentés par les italiens afin de s’emparer d’une nourriture dont ils étaient mal pourvus, et aussi leur étonnement quand ils voyaient les réserves d’aliments inconnus abandonnées par les troupes britanniques forcées de battre en retraite. Un autre temps fort provient de la lecture elle-même du poème, si bien mis en valeur. Comme le voulait Malaparte, on s’imaginait voir jouer aux cartes les soldats de toutes les nations combattantes, les italiens jouant de leurs jeux favoris si particuliers. La fin plutôt amère du poème “Qu’est-ce que vous faites ici” disent aux italiens les gens en français n’a pas été éludée. L’arme de Malaparte en 1918 était le lance-flammes. Alain Segal nous en a décrit fidèlement le fonctionnement et ses terribles ravages, qui eurent sans doute sur Malaparte et ses descriptions de champs de bataille une influence prépondérante. La conférence très applaudie donna lieu à maintes questions de nos adhérents, très impressionnés. Alain Segal tint en finale à mettre en valeur leur forte attention et la pitié que nous éprouvions lors des passages décrivant l’héroïsme des italiens. Nous aussi avons ressenti de sa part ces sentiments et nous lui en sommes reconnaissants.
Allons plus loin :
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