Année 2004-2005 : 22 février 2005

Natalia Ginzburg,

par Marie Antoinette LOUF-CANI

 

 

Natalia Ginzburg, un témoin sans concession de l'Italie du XXème siècle

Née en 1916 et disparue en 1991, Natalia Ginzburg, écrivaine turinoise, a créé une oeuvre inclassable, au style très personnel, sobre dépouillé, alliant humour et poésie. Elle laisse à la postérité un précieux témoignage sur l'Italie de son temps, dans lequel ses contemporains se sont reconnus.

En sa compagnie nous découvrirons une Italie bourgeoise, provinciale, quotidienne, mise à mal par les soubresauts de l'histoire et les mutations de la société. Nous croiserons aussi quelques personnalités bien connues dont "la Ginzburg" brosse des portraits savoureux ou insolites.

 

1919/1939 : Une jeunesse à Turin dans l’entre deux guerres :

1916 : Natalia Levi, fille d’un professeur en médecine, juif et socialiste nait dans un milieu bourgeois, passionné de littérature et de politique qu’elle décrira avec humour dans Les mots de la tribu.

1922 : Début de l’ère mussolinienne. Elle devient le témoin d’une période troublée de l’histoire. 

« Mon père rentrait à la maison toujours furieux, parce qu’il avait rencontré en chemin des groupes de chemises noires ; ou parce qu’il avait découvert aux réunions de sa faculté, de nouveaux fascistes parmi ses collègues – Bouffons!  Pantins ! Bouffonneries ! disait-il en s’asseyant à table ; Il claquait sa serviette ; heurtait  son assiette, heurtait son verre et haletait de mépris. Il avait l’habitude de dire ce qu’il pensait à haute voix en chemin aux collègues qui faisaient route avec lui jusqu’à la maison ; et eux regardaient de tous côtés épouvantés. – Les lâches ! tonnait mon père, rapportant à table la peur de ses collègues ; et il s’amusait, je crois à les effrayer, en parlant à voix haute quand il faisait route avec eux. »

Les mots de la tribu

 

Portrait du jeune industriel Adriano Olivetti en 1925 : (lors de la fuite du socialiste Filippo Turati )

« Puis arrivèrent deux ou trois hommes en imperméables. Parmi eux je connaissais seulement Adriano(Olivetti). Adriano commençait à perdre ses cheveux, et il avait une tête presque chauve et carrée, entourée de boucles blondes et crépues; ce soir là, son visage et ses cheveux rares étaient comme fouettés par le vent. Il avait des yeux épouvantés, résolus et joyeux; je lui ai vu deux ou trois fois dans ma vie ces yeux là. C’était le regard qu’il avait quand il aidait quelqu’un à s’enfuir, quand il y avait danger et quelqu’un à sauver de ce danger. »

Les mots de la tribu

  

1933 : Elle rencontre Leone Ginzburg, brillant intellectuel, ami de Benedetto Croce et militant antifasciste.  Ginzburg et Giulio Einaudi fondent une maison d’édition, pôle de la résistance culturelle au fascisme.

1934 : Ginzburg est condamné à 4 ans de prison. Il sera amnistié au bout de 2 ans.

1938 : mariage de Leone et Natalia. Les lois raciales sont promulguées et Leone perd la nationalité Italienne.

1939/1950 : La deuxième guerre mondiale et les années noires :

1939/1940 : l’Italie entre en guerre au côté de l’Allemagne : Leone est relégué à Pizzoli dans les Abruzzes avec sa femme et ses jeunes enfants. Ils y passent trois ans.

1943: Chute de Mussolini, armistice et occupation de l’Italie par les Allemands. Leone Ginzburg rejoint la Résistance à Rome. Il est arrêté en novembre 1943 et livré aux Allemands.

 

5 Février 44, mort de Leone Ginzburg :

« Davanti all’orrore della sua morte solitaria, davanti alle angosce alternative che precedettero la sua morte, io mi chiedo se questo è accaduto a noi, a noi che compravamo gli aranci da Girò e andavamo a passeggio nella neve. Allora io avevo fede in un avvenire facile e lieto, ricco di desideri appagati, di esperienze e di comuni imprese. Ma era quello il tempo migliore della mia vita e solo adesso che m’è sfuggito per sempre, solo adesso lo so. »

« Devant l’horreur de sa mort solitaire, devant toutes les angoisses accumulées qui ont précédé sa mort, je me demande si c’est bien à nous que tout ceci est arrivé, à nous qui achetions des oranges chez Girò et qui faisions des promenades dans la neige. J’avais alors foi dans un avenir facile et heureux, riche de désirs satisfaits, d’expériences et de projets communs. Mais c’était là le temps le plus beau de ma vie, et maintenant qu’il s’est enfui pour toujours, maintenant seulement je le sais. »

Les petites vertus : hiver dans les Abruzzes

 

1944-45 : Libération de Rome en juin 44 et progressivement de toute l’Italie. Le roman Tous nos hiers recevra le prix Veillon du meilleur écrit sur la résistance en 1952.

1946 : retour à Turin ; dans la maison d’édition « Einaudi » où elle retrouve Cesare Pavese.

  

Portrait de Giulio Einaudi en 1947 :

« L’éditeur n’était plus timide, ou plutôt sa timidité se réveillait seulement par moments, quand il avait des réunions avec des inconnus, et on la prenait non pour de la timidité mais pour un froid et silencieux mystère. Si bien que cette timidité intimidait les inconnus qui se sentaient enveloppés dans ce regard bleu, lumineux et glacial, qui les scrutait et les soupesait à l’autre bout de la grande table de verre, à une glaciale et lumineuse distance. Cette timidité était ainsi devenue un magnifique instrument de travail . Cette timidité était devenue une force, contre laquelle, les inconnus venaient s’écraser, comme des papillons s’écrasent contre une lampe, éblouis par sa lumière»

les mots de la tribu

1950 : Au printemps, Natalia se marie avec Gabriele Baldini. En août, Pavese se suicide. Dans Portrait d’un ami, elle dit adieu au poète et à Turin.

 

« La natura essenziale della città è la malinconia…La nostra città rassomiglia, noi adesso ce ne accorgiamo, all’amico che abbiamo perduto e che l’aveva cara; è, come era lui, laboriosa, aggrondata in una sua operosità febbrile e testarda ; ed è nello stesso tempo svogliata e disposta a oziare e a sognare » 

«  La vraie nature de la ville est la mélancolie… Notre cité ressemble, à présent nous le découvrons, à l’ami que nous avons perdu et à qui elle était si chère ; comme lui, elle est laborieuse, réfugiée dans son activité fébrile et obsédante; et elle est, dans le même temps, nonchalante et disposée à la flanerie et au rêve. »

Les petites vertus : portrait d’un ami

             

Rome : les années fécondes :

Dès 1961 elle  touche le grand public avec ses récits et son théatre.

1963 : elle reçoit  le prix Strega pour Lessico famigliare (Les mots de la tribu) dont le succès est retentissant.

1973, elle publie Caro Michele (Je t’écris pour te dire), sur la crise de la famille italienne.

Années 60 à 80 : Elle prend part dans les journaux au débat public, politique,culturel ou sociétal et brosse des portraits de ses contemporains célèbres. Dont le Portrait de Moravia en 1971 :

 

«  Je le connais depuis des années. Quand on le  connait depuis longtemps, il est impossible, je crois, de  ne pas l’aimer, et c’est un des hommes les plus transparents, courtois et modestes que l’on puisse rencontrer. Mais il est très célèbre et quand on ne le connait pas personnellement se se trouve face à son image publique. Cette image publique m’agace et me déplait…

Son image publique le fait paraître hautain, autoritaire, méprisant et imbu de lui-même. Mais si on a l’occasion de l’approcher on se trouve aussitôt face à sa grande innocence, à son sérieux, profond et naïf… et on se sent désarmés, doux et humbles en présence de cet homme modeste, impatient certes, mais dans le même temps modeste et désarmé. »

Vie imaginaire

 

1983 : Elue députée elle siège au parlement pendant 2 législatures. Elle meurt en octobre 1991.

 

Œuvres citées de Natalia Ginzburg : Chez Einaudi Tascabili (pour la version originale).

 

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