La palette des influences culturelles du monde grec sur lItalie était riche des couleurs de toutes les cités qui, du VIIIe au IVe s. av. J.-C., fondèrent des colonies sur le territoire que lhistorien Polybe, bien plus tard, au IIe s. de notre ère nommera Grande Grèce. Du mélange de ces couleurs avec celles des populations autochtones allait naître une civilisation à lhéritage de laquelle nous avons eu part. La couleur, cest-à dire, si lon entend ce mot au sens propre, la peinture, est essentiellement le reflet de limaginaire dun peuple ; elle donne à voir le génie dont il est habité. Mais elle est un art fragile que le temps détruit. Or les nécropoles italiennes ont conservé de nombreux témoignages de la peinture murale et vasculaire datant de lépoque de la Grande Grèce. Des milliers de vases peints ont échappé aux tombolini, ces pilleurs avides dor ou de bronze mais dédaigneux des objets en terre sans valeur pour eux. Sauvés aussi les beaux temples doriques et les tombes peintes par les moustiques qui éloignaient les récupérateurs de pierre du site marécageux et malsain quétait devenue Paestum ! |
Deux vases Provenant de Vulci :
|
Premiers colons grecs sur le sol italien, les Eubéens fondent Pithécusses (775 av. J.-C.), puis Cumes (750 av. J.-C.). Leur activité commerciale sera le moteur de la pénétration de la culture grecque chez leurs voisins Étrusques auxquels ils vendent des vases de facture égéenne, corinthienne, puis attique. Des artisans suivent les marchands dans les comptoirs quils ont installés dans les cités dÉtrurie méridionale ; ils y créent des ateliers locaux. Pour faciliter les transactions, les Étrusques adopteront lalphabet grec dès le début du VIe s. av. J.-C.
Un atelier de Caeré, où travaillait un peintre venu de Phocée, produisit dans la deuxième moitié du VIe s. les hydries cérétaines Ci-contre : Une de ces hydries, dont le décor représente Héraklès amenant Cerbère à Eurysthée. Ce dernier, effrayé par le chien aux trois têtes, se réfugie dans un tonneau |
La minorité dorique quitte la majorité achéenne de la colonie de Sybaris établie sur la côte ionienne et fonde (v. 600 av. J. C.) aux abords de la côte campanienne Poséidonia devenue Paistom après sa conquête par les Lucaniens en 410 av. J.-.C. (et la Paestum romaine plus tard). La civilisation de la population grecque restée sur place imprègne les conquérants et lactivité artistique de la ville trouve un nouvel élan, attesté par les fresques des tombes lucaniennes et les ateliers de poterie paestans.
En 1968, on fit à Paestum la trouvaille sensationnelle dune tombe peinte, dont chaque dalle était recouverte de fresques qui peuvent être datées de 480/470 av. J.-C. et sont lunique témoin de la peinture murale grecque des VIe et Ve siècles avant notre ère. La célèbre Tombe du plongeur doit son nom au motif de la dalle de couverture. Le vide de lespace, sa profondeur suggérée par les arbustes esquissés de part et dautre du plan deau, lélan du plongeur, le plongeoir qui dessine les colonnes dHercule aux confins du monde connu forment un tableau évocateur dun plongeon dans lau-delà de la vie. |
En 1969 puis 1972, les nécropoles à Paestum révélèrent dautres tombes peintes, celles des Lucaniens, plus tardives, marquées par linfluence grecque mais aussi par leur goût et leurs traditions propres.
Dalle peinte dans une tombe lucanienne du 2e quart du IVe s. av. J.-C., provenant de la nécropole de Laghetto à Paestum. Le geste des deux pleureuses est rituel. Derrière elles, deux vases destinés aux offrandes, et deux grenades, fruits de Perséphone, reine des Enfers. |
Dans la Paestum lucanienne, deux peintres renommés, Astéas et Python, travaillèrent dans un atelier de poterie actif durant les trois derniers quarts du IVe s. av. J.-C.
Ci-contre, La légende dAlcmène sacrifiée par Amphitryon a inspiré Python. Amphitryon, à droite et Agénor à gauche, tentent dallumer le bûcher, tandis que les Hyades déversent la pluie sur lordre de Zeus. LAurore (en-haut, à gauche) contemple la scène qui évoque sans doute une pièce perdue dEuripide : lauteur avait introduit le personnage dAgénor et situé laction à laurore. |
Fondée par les Parthéniens (des spartiates adultérins), en 706 av. J.-C., Tarente ne diffusa vraiment sa culture en Apulie que lors du IVe s, son siècle dor, sous le gouvernement du pythagoricien Archytas. Réciproquement, ses ateliers de poterie senrichirent alors du savoir-faire des ateliers iapyges (Canosa, Arpi, Ruvo) héritiers eux-mêmes dune lointaine influence mycénienne. De linterpénétration des deux traditions nacquit la céramique apulienne, aux formes et motifs décoratifs dune grande originalité.
|
|
Les vases apuliens se distinguent par leur formes caractéristiques, leur monumentalité, leur décor polychrome luxuriant occupant tout lespace et leur usage funéraire essentiel.
|
Les peintres vasculaires apuliens, privilégiaient la représentation des figures mythologiques telles que le théâtre les a interprétées. Ils avaient aussi le goût de la caricature du mythe présentée par les drames satyriques des grands auteurs, mais aussi par les comédies bouffonnes populaires préludant à luvre de Rhynton, sicilien actif à Tarente (fin du IVe-début du IIIe s. av. J.-C.) et auteur de 38 « hilaro-tragédies ».
Le décor dun cratère apulien à volutes provenant de Ruvo (- 350/320), illustre la pièce dEuripide, Iphigénie en Tauride. Iphigénie interroge Oreste, assis sur un banc ; Pylade est à ses côtés. Au registre supérieur, Artémis et son temple où lon sacrifie les grecs arrivés en Tauride ; la jeune femme à g. rappelle peut-être lautre visage dArtémis, celui de la protectrice des accouchées que chante le chur de la tragédie. |
Sur un cratère apulien, daté de 375/350 av. J.-C., le décor phlyaque (caricatural) représente la naissance dHélène de luf pondu par Léda à laquelle Zeus sétait uni ayant pris forme dun cygne. Au centre, Héphaïstos vient de fendre luf doù sort Hélène. À gauche, Léda assiste à la scène, cachée derrière une porte. Son époux Tyndare, à droite, semble vouloir arrêter lélan dHéphaïstos. Les personnages portent les costumes rembourrés et munis de phallus postiches des comédiens burlesques |
La peinture murale apulienne est attestée dès la 2e moitié du Ve s. av. J.-C. La célèbre Tombe des Danseuses découverte à Ruvo en 1883 en est un magnifique exemple. La danse représentée est un rite funéraire dont linvention est attribuée à Thésée. Ce dernier, arrivé à Delos aurait improvisé avec les jeunes athéniens sauvés du Minotaure la danse dite de la grue dont les pas alternés imitaient ceux de loiseau tandis que linversion du sens de la ronde simulait son vol migrateur. Les pas étaient le rappel symbolique de lerrance dans les méandres du labyrinthe, et la sortie du labyrinthe celui du passage à une vie autre.
Le rythme de la danse de Ruvo est rendu par le dessin des pas des danseuses et de leurs péplos soulevés par le mouvement ; il est souligné par la disposition en séquences de couleurs au riche chromatisme.
La peinture de la tombe de Ruvo grecque par la composition harmonieuse et savante, et par le dessin, apulienne, par la richesse des couleurs et lintense expressivité témoigne du phénomène incessant dosmose entre la sensibilité italique et celle des colonies grecques, au cours de la période des VIIIe au IVe s. av. J.-C. Ce temps constitua une étape importante dans le processus délaboration de lart pictural occidental.