Année 2003-2004 : 14 octobre 2003

Un voyage en Piémont,

par Giulia Guerci

 

Giulia nous a brossé un panorama complet de sa région le Piémont et des piémontais, développant en particulier leur caractère, l’histoire du Piémont, sa géographie et ses ressources, mettant en valeur certains points ou épisodes peu connus, agrémentant sa conférence de lectures d’auteurs faites par Colette Blondeau ou d’extraits musicaux, et terminant par une présentation de diapositives traitant tout à tour les 8 provinces : Torino, Novara, Alessandria, Vercelli, Cuneo, Asti, Biella, Verbania.

Le caractère des piémontais

Giulia nous le dépeint comme réservé, mais réaliste et souvent orienté vers l’action sociale. Si l’on y trouve relativement peu de poètes ou de mystiques, en revanche au 19e siècle la révolution industrielle s’est accompagnée de la création de très nombreuses œuvres sociales de la part de non moins de 60 saints et bienheureux, parmi lesquels Giulia nous cite :

Bien sûr, Giulia n’a fait que passer, sans s’attarder, sur ces saints hommes du Piémont, mais ils lui ont permis de mettre en évidence ce trait de caractère qui lui tenait visiblement à cœur : l’altruisme des piémontais, leur esprit de solidarité, comme aussi la réputation qu’ils en ont, et dont elle fournit des exemples vécus.

Mais si les piémontais sont sobres et fiables, ils ne manquent pas de sentiments et Giulia nous fait écouter une berceuse (ninna-nanna) piémontaise, répandue dans tout le Nord de l’Italie, qui nous montre combien ils sont capables de tendresse.

Sa relation de l’histoire du Piémont ne tombe pas non plus dans les lieux communs : après l’histoire médiévale et la création de la maison de Savoie qui régnait à Turin, elle passe assez rapidement sur le Risorgimento bien connu de tous, explique le rôle de Cavour, et montre combien les peuples du Sud de l’Italie, jusque là mieux traité par les Bourbons qu’on ne le pense généralement, ont été choqués et poussés à la révolte lors de la réunification et de ses mesures inattendues : service militaire de trois ans, paiement des impôts, autorité lointaine, langage ignoré, répression mal contrôlée, etc...

De manière inattendue, c’est la première guerre mondiale, avec les sacrifices communs et partagés du Nord et du Sud, qui parvient à cimenter les deux parties de l’Italie.

Avant cette guerre, on avait assiste à de très importants mouvements d’émigration de toute l’Italie vers l’Amérique du Nord et du Sud, et après la guerre vers l’Europe. Bien entendu, de très nombreux piémontais ont émigré à cette époque, et certaines personnes dans l’assistance appartiennent à des familles piémontaises émigrées en France.

Après la guerre, c’est l’émigration de l’Italie du Sud vers l’Italie du Nord, en particulier vers Turin et ses fabriques d’automobiles.

Giulia s’interrompt un moment pour nous faire écouter la célèbre chanson d’émigrés : Mamma mia dammi cento lire... connue dans toute l’Italie, et que fredonnent plusieurs personnes avec émotion.

Un épisode particulier de cette émigration est celui des “calabrotte”.

Ces femmes du Sud que des hommes du Piémont ont voulu pour femmes et que décrit si bien Nuto Revelli dans “l’anello forte”. Colette Blondeau nous lit l’histoire de Giuseppina qu’elle a traduite en français. La voici :

Giuseppina Raso, née à San Biase (province de Cosenza, en Calabre), en 1949 ; et Silvio Melchio, né à Demonte, province de Cuneo, au Piémont, en 1936.

Interview du 5 avril 1980

Giuseppina

Je comprends le piémontais, ou plutôt je comprends le dialecte d’ici. Mais je parle un peu l’italien et un peu le dialecte calabrais. Moi, je ne suis pas allée à l’école, parce que j’étais la plus petite de la famille, et je devais rester à la maison.

Nous étions des paysans, nous avions des terres, cinq ou six lopins. Nous étions 9 frères et sœurs, ils sont tous allés au Canada. Une de mes sœurs a épousé un calabrais, et vit à Sydney, en Australie. Une autre a épousé aussi un calabrais, et vit près de Cuneo. Moi aussi je suis allée en Australie. J’ai travaillé 2 ans dans une usine à Sydney, ce n’était pas trop mal, là-bas. Puis je suis revenue dans mon pays et j’ai repris la cueillette des olives.

Silvio

Comment j’ai fait pour trouver une femme ? Un soir, j’étais sur la place à Demonte, occupé à discuter avec un représentant de machines agricoles à qui j’avais acheté une faux. Il me dit “Maintenant tu devrais acheter une autre machine “. “Non, je n’achète plus rien”, lui ai-je répondu. Je dois me marier, j’ai déjà 35 ans. Quel sens a la vie, quand on est seul ? Il me dit ; “Cela ne te gênerait pas d’épouser une femme du Sud ? Une de mes clientes est de Peveragno, elle peut t’aider. Et c’est ainsi que j’ai connu la sœur de Giuseppina, qui était mariée et vivait à Cuneo. Là, j’ai vu une photo de Giuseppina qui m’a plu. Et j’ai envoyé une photo de moi. J’en avais assez de vivre seul.

Quinze jours après, le père de Giuseppina a écrit pour que je vienne dans le Sud, et que je fasse la connaissance de Giuseppina. Son beau-frère m’a accompagné dans un quartier de San Biase. J’avais tous les documents nécessaires. Giuseppina était un peu timide et ne parlait pas. Le lendemain matin, nous sommes allés au village faire les formalités. Ensuite, nous sommes partis tout-de-suite parce que le travail et les bêtes m’attendaient.

Puis Giuseppina est venue ici avec son père, une sœur et deux de ses frères qui étaient revenus d’Amérique. Il neigeait ce jour-là.

Giuseppina

Ici je me suis plu car le travail était moins pénible qu’au Sud. Là)bas, on porte les choses sur la tête, on utilise encore les pioches. Ici, nous avons les machines.

Silvio

Ce que je pense du Sud ? Au village de Giuseppina j’ai vu les femmes qui portaient le costume albanais, et j’ai demandé ; “Mais que font-elles ? C’est Carnaval ? “

Là-bas les traditions sont vivaces. La campagne est comme celle de Valloriate : beaucoup de petits champs où l’on ne peut travailler avec
le motoculteur, on doit prendre la pioche. Les femmes du Sud qui se sont mariées avec des Piémontais ont montré une patience incroyable. Les parents ont eu le courage de donner leur fille à quelqu’un qu’ils n’avaient jamais vu. Et moi qui suis allé au Sud, je n’avais rien à perdre. Ils ont plus de courage que nous. Les gens de là-bas sont très accueillants. Nous y sommes allés en 1973 et l’hiver dernier. Quand Giuseppina est là-bas, je voudrais être avec elle. Depuis les dix dernières années, là-bas les choses se sont améliorées. Je pense que les filles ne sont plus disposées à venir au Nord pour s’y marier.

Giuseppina

Si je devais recommencer ? Si, si, j’épouserais de nouveau Silvio. Je ne le regrette pas.

 

La partie de la conférence consacrée à la géographie et aux ressources du Piémont.

Elle est, elle aussi, très intéressante. On y apprend entre autres que Turin doit le dessin de ses rues à angle droit au fait qu’elle a trouvé son origine dans un camp romain, on évoque les rizières de Novara et de Vercelli, théâtre du film “riz amer” , et surtout Giulia ne néglige aucun détail touristique, agricole ou industriel, pour nous faire connaître toute sa région.

Puis Colette nous lit la traduction du beau poème de Guido Gozzano sur Turin, que voici :

TORINO
(nel ricordo del poeta Guido Gozzano)

TURIN
(dans le souvenir du poète Guido Gozzano)

Come una stampa antica bavarese
Vedo al tramonto il cielo subalpino
Da Palazzo Madama al Valentino
Ardono l’Alpi tra le nubi accese.
È questa l’ora “antica” torinese,
È questa l’ora vera di Torino.

Comme une gravure bavaroise ancienne
Je vois le ciel au coucher au-dessus des Alpes
Depuis le Palais Madame jusqu’au Parc Valentino
Les Alpes brûlent dans les nuages embrasés.
C’est l’heure de Turin l’antique
C’est l’heure de la véritable Turin.

Un po’ vecchiotta, provinciale, fresca,
Tuttavia d’un tal garbo parigino
Tu mi sei cara come la fantesca
Che mi ha veduto nascere, Torino !

Un peu vieillotte, provinciale, fraîche,
Et cependanr d’une certaine grâce parisienne
Tu m’es chère comme la servante
Qui m’a vu naître, Turin !

A te ritorno quando si rabbuia
Il cuore deluso dai mondani fasti
Tu mi consoli, tu che mi foggiasti
Quest’anima borghese, chiarabuia...

Je reviens à toi quand mon cœur s’assombrit
Déçu des festivités du monde
C’est toi qui me console, toi qui a façonné
Cette âme bourgeoise, claire et sombre à la fois

Les diapositives

Parmi les diapositives, citons pêle-mêle les vues du Mont Viso et du Monte Rosa, de la Sacra di San Michele, les vignobles du Monferrato, le Château Grinzano Cavour, les forteresses entre le Piémont et la République de Gênes, la villa Taranto au lac Majeur et San Giulio au lac d’Orta, les palais et musées de Turin, sa tour la Mole Antonellaniana (représentée sur les pièces de deux centimes d’euro), l’église Santa Maria et la synagogue de Vercelli, le palais baroque du Municipio à Alessandria, Marengo et la statue de Napoléon (à voir les manifestations tous les 14 juin en souvenir de la bataille), le Sacro Monte di Crea et ses 21 chapelles, Aqui Terme.

Voir les diapositives.

A la suite d’applaudissements très chaleureux, les assistants posent diverses questions, entre autres sur le fascinant Musée Égyptien de Turin, les villages peints (Benedello dans la région de Cuneo), le dialecte piémontais et ses rappels du français, les problèmes de l’émigration, l’industrie du textile à Biella, les vins piémontais, la truffe blanche d’Alba etc...

Avant de nous quitter, Giulia nous promet de revenir d’Italie pour nous enchanter par une nouvelle conférence.

Auteurs cités :

 Pour approfondir :

 

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