Année 2002-2003 : 1er avril 2003

Alexandre Dumas et l’Italie,
par André Lingois

 

Ses séjours à Florence, en Sicile et à Naples, son aventure avec Garibaldi.

 

Quelques repères biographiques :

Quelques extraits :

Entre le rocher auquel Virgile, en y creusant la tombe du clairon d'Hector, a imposé le nom de promontoire de Misène, et le cap Campanella, qui vit sur l'un de ses versants naître l'inventeur de la boussole, et sur l'autre errer proscrit et fugitif l'auteur de la Jérusalem délivrée, s'ouvre le magnifique Golfe de Naples (…)

Le soleil ruisselait en flots dorés sur ce vaste amphithéâtre de collines qui semble allonger un de ses bras jusqu'à Nisida et l'autre jusqu'à Portici, pour presser la ville fortunée contre les flancs du mont Saint-Elme, que surmonte, pareille à une couronne murale sur le front de la moderne Parthénope, la vieille forteresse des princes angevins.

Le golfe, immense nappe d'azur, pareil à un tapis semé de paillettes d'or, frissonnait sous une brise matinale, légère, balsamique, parfumée; si douce, qu'elle faisait éclore un ineffable sourire sur les visages qu'elle caressait ; si vivace, que dans les poitrines gonflées par elle, se développait à l'instant même cette immense aspiration vers l'infini, qui fait croire orgueilleusement à l'homme qu'il est, ou du moins qu'il peut devenir un dieu, et que ce monde n'est qu'une hôtellerie d'un jour, bâtie sur la route du ciel.

(La San Felice) 

Le corricolo est une espèce de tilbury primitivement destiné à contenir une personne et à être attelé d'un cheval ; on l'attelle de deux chevaux, et il charrie de douze à quinze personnes.

Et qu'on ne croie pas que ce soit au pas, comme la charrette à bœufs des rois francs, ou au trot comme le cabriolet de régie ; non, c'est au triple galop ; et le char de Pluton, qui enlevait Proserpine sur les bords du Simèthe, n'allait pas plus vite que le corricolo qui sillonne les quais de Naples en brûlant un pavé de laves et en soulevant une poussière de cendres.

Comment et en combien de temps s'est faite cette agglomération successive d'individus sur le corricolo, d'est ce qu'il est impossible de déterminer avec précision. Contentons-nous donc de dire comment elle y tient.

D'abord, et presque toujours, un gros moine est assis au milieu et forme le centre de l'agglomération humaine que le corricolo emporte comme un de ces tourbillons d'âmes que Dante vit, suivant un grand étendard, dans le premier cercle de l'enfer. Il a, sur un de ses genoux, quelque fraîche nourrice d'Aversa ou de Nettuno et, sur l'autre, quelque belle paysanne de Bauli ou de Procida ; aux deux côtés du moine, entre les roues et la caisse, se tiennent debout les maris de ces dames. Derrière le moine se dresse sur la pointe des pieds le propriétaire ou le conducteur de l'attelage, tenant de la main gauche la bride, et de la main droite le long fouet avec lequel il imprime une égale vitesse à la marche de ses deux chevaux. Derrière celui-ci se groupent à leur tour, à la manière des valets de bonne maison, deux ou trois lazz~aroni, qui montent, qui descendent, se succèdent, se renouvellent, sans qu'on pense jamais à leur demander un salaire en échange du service rendu. Sur les deux brancards sont assis deux gamins ramassés sur la route de Torre del Greco ou de Pouzzoles, ciceroni surnuméraires des antiquités d'Herculanum et de Pompéi, guides marrons des antiquités de Cumes et de Baïa. Enfin, sous l'essieu de la voiture, entre les deux roues, dans un filet à grosses mailles qui va ballottant de haut en bas, de long en large, grouille quelque chose d'informe, qui rit, qui pleure, qui crie, qui hogne, qui se plaint, qui chante, qui raille, mais qu'il est impossible de distinguer, au milieu de la poussière que soulèvent les pieds des chevaux : ce sont trois ou quatre enfants qui appartiennent on ne sait à qui, qui vont on ne sait où, qui vivent on ne sait de quoi, qui sont là on ne sait comment, et qui y restent on ne sait pourquoi.

(Le corricolo)

Le lazzarone est le fils aîné de la nature : c'est à lui le soleil qui brille ; c'est à lui la mer qui murmure ; c'est à lui la création qui sourit. Les autres hommes ont une maison, les autres hommes ont une villa, les autres hommes ont un palais ; le lazzarone, lui, a le monde.

Le lazzarone n'a pas de maître, le lazzarone n'a pas de lois ; le lazzarone est en dehors de toutes les exigences sociales ; il dort quand il a sommeil, il mange quand il a faim, il boit quand il a soif. Les autres peuples se reposent quand ils sont las de travailler ; lui, au contraire, quand il est las de se reposer, il travaille.

Quel est ce travail ? Dieu seul le sait.

Une malle portée du bateau à vapeur à l'hôtel, un Anglais conduit du môle à Chiaia, trois ou quatre poissons échappés du filet qui les emprisonne et vendus à un cuisinier, la main tendue à tout hasard et dans laquelle le forestiere laisse tomber en riant une aumône ; voilà le travail du lazzarone.
Quant à sa nourriture, c'est plus facile à dire ; quoique le lazzarone appartienne à l'espèce des omnivores, le lazzarone ne mange en général que deux choses la pizza et le cocomero.

(…)

Chaque ouverture d’un nouveau cocomero est une représentation nouvelle ; les concurrents sont en face l'un de l'autre : c'est à qui donnera le coup de couteau le plus adroitement et le plus impartialement. Les spectateurs jugent. Le niellonaro prend le cocomero dans le panier plat où il est posé pyramidalement avec une vingtaine d'autres, comme sont posés les boulets dans un arsenal. Il le flaire, il l'élève au-dessus de sa tête, comme un empereur romain le globe du monde. Il crie : «C'est du feu !», ce qui annonce d'avance que la chair sera du plus beau rouge. Il l'ouvre d'un seul coup, et présente les deux hémisphères au public, un de chaque main. Si, au lieu d'être rouge, la chair du cocomero est jaune ou verdâtre, ce qui annonce une qualité inférieure, la pièce fait fiasco ; le mellonaro est hué, conspué, honni : trois chutes, et un mellonaro est déshonoré à tout jamais !

(Le corricolo)

Quand parut le distributeur de la bienheureuse soupe, ce furent des hurlements inouïs, et chacun se précipita vers lui sa sébile à la main. Il y en avait qui étaient trop faibles pour hurler et pour courir, et qui se traînaient en gémissant sur leurs genoux et sur leurs mains.

Il y avait, au milieu de tout cela, un enfant, vêtu non pas d'une chemise, mais d'une espèce de toile d'araignée à mille trous, qui n'avait pas d'écuelle et qui pleurait de faim. Il tendit ses deux pauvres petites mains amaigries et jointes pour remplacer autant qu'il était en lui par le récipient naturel le vase absent. Le cuisinier y versa une cuillerée de potage. Le potage était bouillant et brûla les mains de l'enfant ; il jeta un cri de douleur et ouvrit malgré lui les doigts. Le pain et le bouillon tombèrent par terre sur une dalle. L'enfant se jeta à quatre pattes et se mit à manger à la manière des chiens.

(Le Capitaine Arena)

Mais peu à peu sa voix prit de la force, ses gestes s'animèrent, sa tête se releva, et, sans doute excité par la fièvre même qui semblait le dévorer, ses yeux commencèrent à lancer des éclairs, tandis que ses paroles, rapides, pressées, incisives, reprochaient à l'auditoire cette corruption générale où le monde était arrivé, corruption qui attirait la colère de Dieu sur la terre, colère dont la catastrophe qui désolait Cosenza était l'expression visible et immédiate. Ce fut alors que je compris ce développement donné à la chaire. Ce n'était plus cet homme faible et souffrant, pouvant se traîner à peine, qui avait besoin de la balustrade pour s'y soutenir ; c'était le prédicateur emporté par son sujet, s'adressant à la fois à toutes les parties de l'auditoire, jetant ses apostrophes, tantôt à la masse, tantôt aux individus ; bondissant d'un bout à l'autre de sa chaire, se lamentant comme Jérémie, ou menaçant comme Ezéchiel ; puis, de temps en temps, s'adressant au christ, baisant ses pieds, se jetant à ses genoux, le suppliant ; puis, tout à coup, le saisissant dans ses bras et l'élevant plein de menace au-dessus de la foule terrifiée. Je ne pouvais point entendre tout ce qu'il disait, mais cependant je comprenais l'influence que cette parole puissante devait, dans des circonstances pareilles, avoir sur la multitude. Aussi l'effet produit était universel, profond, terrible ; hommes et femmes étaient tombés à genoux, baisant la terre, se frappant la poitrine, criant merci ; tandis que le prédicateur, dominant toute cette foule, courait sans relâche, atteignant du geste et de la voix jusqu'à ceux qui l'écoutaient de la rue. Bientôt les cris, les larmes et les sanglots de l'auditoire furent si violents qu'ils couvrirent la voix qui les excitait ; alors cette voix s'adoucit peu à peu : il passa de la menace à la miséricorde, de la vengeance au pardon.

(Le Capitaine Arena)

La première chose qui frappe, quand on visite cette ancienne reine du commerce, est l'absence de cet esprit commercial qui a fait d'elle une des républiques les plus riches et les plus puissantes de la terre. On cherche, sans la pouvoir trouver, cette classe intermédiaire et industrielle qui peuple les rez-de-chaussée et les trottoirs des rues de Paris et de Londres. A Florence, il n'y a que trois classes visibles : l'aristocratie, les étrangers et le peuple. Or, au premier coup d'œil, il est presque impossible de deviner comment et de quoi vit ce peuple. En effet, à part deux ou trois maisons princières, l'aristocratie dépense peu et le peuple ne travaille pas : c'est qu'à Florence l'hiver défraie l'été. À l'automne, vers l'époque où apparaissent les oiseaux de passage, des volées d'étrangers, Anglais, Russes et Français s'abattent sur Florence. Florence connaît cette époque ; elle y fait entrer pêle-mêle, Français, Russes et Anglais, et jusqu'au printemps elle les plume.

L'été, Florence est triste et à peu près solitaire : de huit heures du matin à quatre heures du soir, le vingtième de sa population à peine circule sous un soleil de plomb, dans ses rues aux portes et aux fenêtres fermées ; on dirait une ville morte, et visitée par des curieux seulement, comme Herculanum et Pompéi. A quatre heures, le soleil tourne ardentes et le long des murailles rougies, quelques fenêtres s'entrebâillent timidement pour recueillir quelques souffles de brise.

(Une Année à Florence)

Comme c'est l'habitude pour tout roi, tout prince ou tout conquérant qui fait son entrée à Naples, on se rendit à l'archevêché.

Le frère Jean dit la messe et remercia Dieu. Le Te Deum chanté, l'on se dirigea vers le palais d'Angri, qu'ont habité Championnet et Masséna.

Arrivé au palais d'Angri, le général laissa les trois premiers étages à ses aides de camp, à son état-major, à ses secrétaires, et s'arrêta dans les mansardes.

Naples tout entier l'avait suivi, du fort de la mer à l'archevêché, et de l'archevêché au palais d'Angri.
Un cri immense, qu'on eût cru poussé par les cinq cent mille voix de Naples, se fit alors entendre et entra par toutes les fenêtres ouvertes en montant au ciel; hymne de vengeance contre François II, hosannah de reconnaissance pour le libérateur :
- Vive Garibaldi !

Force fut au général de paraître à la fenêtre. Les cris redoublèrent ; les chapeaux et les bouquets furent jetés en l'air. A toutes les fenêtres ayant vue sur le palais d'Angri, les femmes agitaient leurs mouchoirs, se penchaient en dehors, au risque de se précipiter dans la rue. La révolution était faite, et, comme je l'avais promis à Garibaldi, sans qu'elle coûtât une goutte de sang !

(Les Garibaldiens)

Bibliographie succincte

Ouvrages d’Alexandre Dumas sur l’Ialie :

Sites à consulter (une sélection car il sont nombreux) :

 

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