Année 2002-2003 : 17 décembre 2002

Images Italiennes des motifs symboliques
de la Nativité du Christ
(Ve - XVIe siècles),

par Marie-Annette Fourneyron

 

L’histoire de la Naissance du Christ a la structure d’un mythe, c’est à dire d’un récit dont toutes les images sont des symboles qui cernent un mystère. Ceci n’infirme en rien la réalité historique du fondateur du Christianisme. La réalité transcendante que le mythe cherche à manifester, en usant du langage symbolique, appartient à un tout autre registre que la réalité historique, événementielle.

Cette histoire s’est construite à partir des Évangiles de Luc (2, 1-21) et de Matthieu (1, 18-2, 12) auxquels le Protévangile de Jacques et le Pseudo-Matthieu, évangiles apocryphes, ont ajouté maints détails, inspirant fortement l’art en Orient comme en Occident, tout particulièrement les représentations de la vie de Marie et de la naissance de Jésus.

Mais l’iconographie de la Nativité a également trouvé ses sources dans le riche héritage mythologique des territoires contrôlés par Rome puis Constantinople. Les terres d’accueil du Christianisme ne pouvaient manquer de colorer et d’enrichir de leurs propres images, fruits d’intuitions analogues, les motifs de la légende de Noël ; et l’élaboration de cette dernière précéda de plusieurs siècles sa représentation.

En Italie, la première image connue, tout au moins l’une des premières,
fut une Épiphanie sculptée sur un sarcophage au début du IVe siècle.

(Sarcophage de Flavius Julius Catervius, Dôme de Torentino.)

Au XIIIe siècle, le dominicain génois Jacques de Voragine (1228-1298) reprit dans sa Légende Dorée (chap. VI et XIV) l’histoire de la Nativité inspirée des Évangiles et du Pseudo-Matthieu, en l’enjolivant du récit de miracles contemporains de la Naissance du Christ. À la fin du XIVe siècle, à Rome où elle s’était établie, Brigitte de Suède faisait dans ses Révélations, le récit des visions qu’elle avait eues du déroulement de la Nativité — récit qui modifia l’iconographie jusqu’alors influencée essentiellement par la thématique byzantine en résonance profonde avec le fonds mythologique méditerranéen et moyen-oriental. Adoration et dévotion remplacèrent les évocations du Surnaturel. Une autre tendance iconographique, florentine cette fois, vit s’épanouir, aux XVe siècle le récit allégorique qui emplissait la scénographie de la Nativité d’allusions tant religieuses que profanes. Ce schéma est à nuancer, car tous ces courants se prolongèrent plus ou moins et s’interpénétrèrent.

L’Annonce aux bergers, de Belbello

(extrait du Livre d’heures de Visconti)

Image provenant du Livre d’heures de Visconti œuvre due à deux enlumineurs différents. Giovannino dei Grassi, miniaturiste de la 2e moitié du XIVe s., influencé par le milieu lombard, en a peint les premiers feuillets pour Jean-Galeas Visconti despote de Milan(1351-1402), dès avant le couronnement de ce dernier comme duc de Milan en 1395. L’œuvre fut abandonnée à la mort de Giovannino en 1398, et reprise par Belbello de Pavie, au 2e quart du XVe s. pour le compte de Philippe-Marie (fils de Jean-Galeas) qui prit le titre de duc en 1412.

L’Annonce aux bergers, est de Belbello. Le messager, porteur de messages du Ciel à la Terre ne peut être qu’ailé, comme l’Ange, comme Iris et Hermès messagers des dieux. L’Ange, au lieu du rameau d’olivier traditionnel (allusion à l’huile et à la lumière qu’elle produit) tient une banderole évoquant le col d’un oiseau ; est-ce un cygne ou une oie sauvage ? Le cygne est l’animal compagnon d’Apollon, dieu de la musique, de la poésie et de la divination ; il symbolise l’éclat et la force de la lumière. La légende rapporte que le jour de la naissance d’Apollon à Délos, des cygnes blancs, tournèrent sept fois autour de l’île. Quant à l’oie, plusieurs traditions lui reconnaissent un rôle de messagère entre le ciel et la terre. Le savant miniaturiste a -t-il voulu insister sur la lumière révélée par le messager ou sur le messager lui-même ?

Le berger est un personnage-type mythique. Depuis la plus haute antiquité, il représente l’homme encore proche de la nature dont il a une connaissance intuitive. Une intuition a toujours cet aspect d’immédiateté qu’exprime le motif du berger qui reçoit le premier le message de l’ange.

Autre image du Livre d’heures de Visconti, de la main de Giovannino dei Grassi cette fois, la Nativité, qui nous montre la Vierge et l’Enfant-Soleil, irradiant un lumière qui éclaire la scène.

Tous les symboles du récit de la naissance d’un enfant divin concourent à dramatiser le scénario d’une naissance originelle. Le motif de l’enfant divin comporte toujours des images qui disent son origine à partir de substances primordiales, eaux, terre, œuf etc., auprès d’éléments végétaux évoquant le jaillissement de la vie ; l’enfant est placé dans une corbeille, comme un fruit, ou sur la paille d’un van, comme une graine renaissante ou à même la terre féconde. (Ainsi, l’enfant Hermès naît dans une caverne, il est déposé dans un van, tout comme l’enfant Dionysos qu’on nommait « celui du van » ; l’enfant Apollon naît au pied d’un palmier dans l’ île de Délos surgie de la mer). Le bain de l’enfant divin rappelle l’antique coutume de la lustration qui réactualise le moment où le monde émergea des eaux primordiales.

«Alors Phoibos bienfaiteur, les Déesses te baignèrent dans une eau claire, marque de sainteté et de pureté… »(Hymne homérique à Apollon, vv. 120 sqq.)

La vie des enfants divins « issus » du non-être est toujours menacée ; elle est exposée aux forces de la nature Leur propre énergie vitale les soutient, sous forme d’animaux — leurs instincts — qui les nourrissent.

Nativité de Giovannino dei Grassi

(extrait du Livre d’heures de Visconti)

La figure de La Vierge Mère est l’héritière de la très antique déesse Terre, à l’inépuisable fécondité (la Gê des Grecs), devenue chez les peuples agricoles Déesse-Mère d’un dieu qui meurt et ressuscite, parèdre d’un dieu Ciel fécondateur. La reconnaissance de la solidarité entre la fécondité de la glèbe et celle de la femme permit par la suite la naissance du motif mythologique de La Jeune Fille en tant que matière virginale, fécondée par un Dieu, et mettant au monde un enfant divin participant de deux natures (thème illustré maintes fois dans la mythologie grecque : Dionysos fils de Zeus et Sémélé, Asclépios fils d’Apollon et Coronis p. ex.)

L’iconographie insiste sur le rôle secondaire de Joseph pour confirmer la virginité de Marie ; elle réduit sa taille, lui fait accomplir des tâches subalternes, lui donne l’air perplexe de quelqu’un qui ne comprend rien à ce qui se passe, ou le représente plongé dans le sommeil qui lui permettra de recevoir les ordres angéliques.

À droite, une colonne à laquelle Marie se serait appuyée au moment de l’accouchement. Ceci rappelle la légende de la mère de Bouddha enlaçant un arbre pour mettre son fils au monde, et le symbolisme universel de l’arbre sacré, manifestant une puissance qui porte fruits et se régénère (les arbres sacrés étaient souvent représentés sous une forme schématique : colonne, tronc d’arbre ébranché etc.).

Le symbolisme des Rois Mages est complexe et cerne les idées d’Ordre Cosmique, d’Éternité de la vie et de Régénération cyclique.

Adoration des Mages, de Belbello

(extrait du Livre d’heures de Visconti)

Dans les Heures de Visconti encore, une belle Adoration des Mages de Belbello, qui a peint un ciel saturé de lumière : l’étoile des Mages, les étoiles du ciel, les ailes et les auréoles des anges exprimant ainsi pleinement une nuit qui s’illumine.
Les auréoles dentelées des mages, différentes de celles de la Sainte Famille, évoquent probablement un symbolisme solaire, de même que leurs figures d’hommes aux trois âges de la vie.

Les Égyptiens ont conçu la révolution journalière du soleil comme un cycle ininterrompu de transformations. Le matin, sous sa forme de scarabée (= “Khoprer”, en égyptien, homophone du verbe “devenir” = “Khôper”), le soleil montait dans sa barque pour traverser l’Océan du ciel, devenait à midi le dieu Ré, le Soleil lumineux qui fait vivre le monde et l’éclaire et le soir achevait sa course comme Dieu Atoum (le Total, le Complet). Il était alors avalé par la déesse du Ciel Nout qui le régénérait en son sein et le rendait au monde le lendemain matin. La contemplation de la course solaire était pour les égyptiens assurance d’une éternité de vie qu’ils pressentaient aussi en tant que peuple de cultivateurs ayant l’expérience du cycle de la végétation.

L’analogie des trois âges du soleil avec les trois âges des Mages presque constamment représentée, devient pertinente si on l’associe avec la date de la Nativité, finalement fixée au jour du solstice d’hiver, jour où le soleil va recommencer un cycle, annuel cette fois.

Le Roi-Mage a aussi pour essence de cumuler la fonction royale de garant de l’ordre sur terre et la fonction sacerdotale de gouverneur des âmes, son double pouvoir recevant sa direction de l’Esprit ordonnateur du Cosmos (antique rêve du Roi de Sagesse et de Paix). Lorsqu’ils s’inclinent devant l’Enfant, les Mages le reconnaissent comme roi en lui offrant de l’or, emblème de l’excellence, comme prêtre et médiateur en lui offrant l’encens dont la fumée monte de la terre au ciel, à l’instar les prières, et comme prophète habité par l’Esprit en lui offrant la myrrhe, symbole d’incorruptibilité.

Si nous rassemblons tous les motifs du récit de la Nativité chrétienne on voit que le thème central en est l’annonce qu’une autre ère s’ouvre pour le monde, auquel est donné pour Roi un enfant-divin porteur de virtualités nouvelles qu’il aura pour tâche d’incarner et de faire régner.

Iconographie : Les Heures de Visconti, Reproduction d’un manuscrit enluminé appartenant à la Bibliothèque Nationale, Florence, photographié et imprimé en France par Draeger Frères, Paris, 1972.

 

©ACORFI