Lhistoire de la Naissance du Christ a la structure dun mythe, cest à dire dun récit dont toutes les images sont des symboles qui cernent un mystère. Ceci ninfirme en rien la réalité historique du fondateur du Christianisme. La réalité transcendante que le mythe cherche à manifester, en usant du langage symbolique, appartient à un tout autre registre que la réalité historique, événementielle.
Cette histoire sest construite à partir des Évangiles de Luc (2, 1-21) et de Matthieu (1, 18-2, 12) auxquels le Protévangile de Jacques et le Pseudo-Matthieu, évangiles apocryphes, ont ajouté maints détails, inspirant fortement lart en Orient comme en Occident, tout particulièrement les représentations de la vie de Marie et de la naissance de Jésus. Mais liconographie de la Nativité a également trouvé ses sources dans le riche héritage mythologique des territoires contrôlés par Rome puis Constantinople. Les terres daccueil du Christianisme ne pouvaient manquer de colorer et denrichir de leurs propres images, fruits dintuitions analogues, les motifs de la légende de Noël ; et lélaboration de cette dernière précéda de plusieurs siècles sa représentation. |
|
Au XIIIe siècle, le dominicain génois Jacques de Voragine (1228-1298) reprit dans sa Légende Dorée (chap. VI et XIV) lhistoire de la Nativité inspirée des Évangiles et du Pseudo-Matthieu, en lenjolivant du récit de miracles contemporains de la Naissance du Christ. À la fin du XIVe siècle, à Rome où elle sétait établie, Brigitte de Suède faisait dans ses Révélations, le récit des visions quelle avait eues du déroulement de la Nativité récit qui modifia liconographie jusqualors influencée essentiellement par la thématique byzantine en résonance profonde avec le fonds mythologique méditerranéen et moyen-oriental. Adoration et dévotion remplacèrent les évocations du Surnaturel. Une autre tendance iconographique, florentine cette fois, vit sépanouir, aux XVe siècle le récit allégorique qui emplissait la scénographie de la Nativité dallusions tant religieuses que profanes. Ce schéma est à nuancer, car tous ces courants se prolongèrent plus ou moins et sinterpénétrèrent.
|
Image provenant du Livre dheures de Visconti uvre due à deux enlumineurs différents. Giovannino dei Grassi, miniaturiste de la 2e moitié du XIVe s., influencé par le milieu lombard, en a peint les premiers feuillets pour Jean-Galeas Visconti despote de Milan(1351-1402), dès avant le couronnement de ce dernier comme duc de Milan en 1395. Luvre fut abandonnée à la mort de Giovannino en 1398, et reprise par Belbello de Pavie, au 2e quart du XVe s. pour le compte de Philippe-Marie (fils de Jean-Galeas) qui prit le titre de duc en 1412. LAnnonce aux bergers, est de Belbello. Le messager, porteur de messages du Ciel à la Terre ne peut être quailé, comme lAnge, comme Iris et Hermès messagers des dieux. LAnge, au lieu du rameau dolivier traditionnel (allusion à lhuile et à la lumière quelle produit) tient une banderole évoquant le col dun oiseau ; est-ce un cygne ou une oie sauvage ? Le cygne est lanimal compagnon dApollon, dieu de la musique, de la poésie et de la divination ; il symbolise léclat et la force de la lumière. La légende rapporte que le jour de la naissance dApollon à Délos, des cygnes blancs, tournèrent sept fois autour de lîle. Quant à loie, plusieurs traditions lui reconnaissent un rôle de messagère entre le ciel et la terre. Le savant miniaturiste a -t-il voulu insister sur la lumière révélée par le messager ou sur le messager lui-même ? |
Le berger est un personnage-type mythique. Depuis la plus haute antiquité, il représente lhomme encore proche de la nature dont il a une connaissance intuitive. Une intuition a toujours cet aspect dimmédiateté quexprime le motif du berger qui reçoit le premier le message de lange.
Autre image du Livre dheures de Visconti, de la main de Giovannino dei Grassi cette fois, la Nativité, qui nous montre la Vierge et lEnfant-Soleil, irradiant un lumière qui éclaire la scène.
Tous les symboles du récit de la naissance dun enfant divin concourent à dramatiser le scénario dune naissance originelle. Le motif de lenfant divin comporte toujours des images qui disent son origine à partir de substances primordiales, eaux, terre, uf etc., auprès déléments végétaux évoquant le jaillissement de la vie ; lenfant est placé dans une corbeille, comme un fruit, ou sur la paille dun van, comme une graine renaissante ou à même la terre féconde. (Ainsi, lenfant Hermès naît dans une caverne, il est déposé dans un van, tout comme lenfant Dionysos quon nommait « celui du van » ; lenfant Apollon naît au pied dun palmier dans l île de Délos surgie de la mer). Le bain de lenfant divin rappelle lantique coutume de la lustration qui réactualise le moment où le monde émergea des eaux primordiales. «Alors Phoibos bienfaiteur, les Déesses te baignèrent dans une eau claire, marque de sainteté et de pureté »(Hymne homérique à Apollon, vv. 120 sqq.) La vie des enfants divins « issus » du non-être est toujours menacée ; elle est exposée aux forces de la nature Leur propre énergie vitale les soutient, sous forme danimaux leurs instincts qui les nourrissent. |
|
La figure de La Vierge Mère est lhéritière de la très antique déesse Terre, à linépuisable fécondité (la Gê des Grecs), devenue chez les peuples agricoles Déesse-Mère dun dieu qui meurt et ressuscite, parèdre dun dieu Ciel fécondateur. La reconnaissance de la solidarité entre la fécondité de la glèbe et celle de la femme permit par la suite la naissance du motif mythologique de La Jeune Fille en tant que matière virginale, fécondée par un Dieu, et mettant au monde un enfant divin participant de deux natures (thème illustré maintes fois dans la mythologie grecque : Dionysos fils de Zeus et Sémélé, Asclépios fils dApollon et Coronis p. ex.)
Liconographie insiste sur le rôle secondaire de Joseph pour confirmer la virginité de Marie ; elle réduit sa taille, lui fait accomplir des tâches subalternes, lui donne lair perplexe de quelquun qui ne comprend rien à ce qui se passe, ou le représente plongé dans le sommeil qui lui permettra de recevoir les ordres angéliques.
À droite, une colonne à laquelle Marie se serait appuyée au moment de laccouchement. Ceci rappelle la légende de la mère de Bouddha enlaçant un arbre pour mettre son fils au monde, et le symbolisme universel de larbre sacré, manifestant une puissance qui porte fruits et se régénère (les arbres sacrés étaient souvent représentés sous une forme schématique : colonne, tronc darbre ébranché etc.).
Le symbolisme des Rois Mages est complexe et cerne les idées dOrdre Cosmique, dÉternité de la vie et de Régénération cyclique.
|
Dans les Heures de Visconti encore, une belle Adoration des Mages de Belbello, qui a peint un ciel saturé de lumière : létoile des Mages, les étoiles du ciel, les ailes et les auréoles des anges exprimant ainsi pleinement une nuit qui sillumine. Les Égyptiens ont conçu la révolution journalière du soleil comme un cycle ininterrompu de transformations. Le matin, sous sa forme de scarabée (= Khoprer, en égyptien, homophone du verbe devenir = Khôper), le soleil montait dans sa barque pour traverser lOcéan du ciel, devenait à midi le dieu Ré, le Soleil lumineux qui fait vivre le monde et léclaire et le soir achevait sa course comme Dieu Atoum (le Total, le Complet). Il était alors avalé par la déesse du Ciel Nout qui le régénérait en son sein et le rendait au monde le lendemain matin. La contemplation de la course solaire était pour les égyptiens assurance dune éternité de vie quils pressentaient aussi en tant que peuple de cultivateurs ayant lexpérience du cycle de la végétation. Lanalogie des trois âges du soleil avec les trois âges des Mages presque constamment représentée, devient pertinente si on lassocie avec la date de la Nativité, finalement fixée au jour du solstice dhiver, jour où le soleil va recommencer un cycle, annuel cette fois. |
Le Roi-Mage a aussi pour essence de cumuler la fonction royale de garant de lordre sur terre et la fonction sacerdotale de gouverneur des âmes, son double pouvoir recevant sa direction de lEsprit ordonnateur du Cosmos (antique rêve du Roi de Sagesse et de Paix). Lorsquils sinclinent devant lEnfant, les Mages le reconnaissent comme roi en lui offrant de lor, emblème de lexcellence, comme prêtre et médiateur en lui offrant lencens dont la fumée monte de la terre au ciel, à linstar les prières, et comme prophète habité par lEsprit en lui offrant la myrrhe, symbole dincorruptibilité.
Si nous rassemblons tous les motifs du récit de la Nativité chrétienne on voit que le thème central en est lannonce quune autre ère souvre pour le monde, auquel est donné pour Roi un enfant-divin porteur de virtualités nouvelles quil aura pour tâche dincarner et de faire régner.
Iconographie : Les Heures de Visconti, Reproduction dun manuscrit enluminé appartenant à la Bibliothèque Nationale, Florence, photographié et imprimé en France par Draeger Frères, Paris, 1972.