Année 2002-2003 : 19 novembre 2002

Les Italiens comme ils se voient,

par Pierre Staelen

 

De Leopardi à Barzini et Stefano Benni, les italiens, comment se voient-ils ? Conformes à leurs stéréotypes les plus répandus ? Ou plongés dans l’autocritique et la désillusion ? Ou inspirés par l’ironie personnelle et l’humour ? Existe-t-il un caractère italien ?

Si l’Italie est vue comme un pays de rêve, pour sa beauté, ses oeuvres d’art, sa musique, les italiens eux-mêmes souffrent d’une réputation chargée de défauts outranciers ou vils (une image parfaite de cette attitude peut être trouvée dans “Cuore” de De Amicis , “il piccolo patriota padovano”).

Le but de l’exposé était de rechercher les raisons historiques de cette réputation, et de savoir comment les italiens eux-mêmes réagissent à cette interpellation.

La source principale de l’exposé était l’essai “Gli italiani”, de Luigi Barzini. qui cite Leopardi pour son “Discorso sopra lo stato presente dei costumi degl’italiani”, pratiquement le seul travail complet d’un italien sur les moeurs de ses compatriotes.

Mais l’opinion de Leopardi, désabusée et insatisfaite, concerne principalement la noblesse et l’Italie désunie de cette époque(1828). Le Risorgimento apportera la recherche d’une unité de caractère et de l’identité italienne - comme disait d’Azeglio ”Fatta l’Italia, bisogna fare gli italiani”.

Le fascisme et ses échecs portèrent par la suite un coup fatal à l’image italienne aux yeux des étrangers, et au moral des italiens.

Pourtant l’Italie se voit maintenant comme une nation, et les italiens comme un peuple. On rencontre toutefois peu de réactions opposées aux stéréotypes nationaux dont on les afflige.

Maîtres dans l’autocritique, bien loin de se prendre au sérieux, les italiens semblent préfèrer pratiquer l’ironie à leurs dépens, faisant ainsi comprendre, avec humour et par l’emploi des néologismes dont ils sont friands, qu’ils savent comme nul autre accepter la critique d’autrui, disposés même à la compléter si nécessaire. Tout au plus préfèrent-ils se critiquer eux-mêmes, car ils le feront mieux que quiconque.

Ces constatations une fois faites, l’exposé, déjà enrichi de nombreuses citations, invoque la gestuelle des italiens, inclut des “barzellette” ou des “racconti” d’humoristes italiens de notre temps qui, dans un langage alerte et vif, décrivent la réalité et le caractère des italiens d’aujourd’hui.

 

Il piccolo patriotta padovano

Le petit patriote de Padoue

Un piroscafo francese partì da Barcellona, città della Spagna, per Genova, e c'erano a bordo francesi, italiani, spagnuoli, svizzeri. C'era, fra gli altri, un ragazzo di undici anni, mal vestito, solo, che se ne stava sempre in disparte, come un animale selvatico, guardando tutti con l'occhio torvo. E aveva ben ragione di guardare tutti con l'occhio torvo. Due anni prima, suo padre e sua madre, contadini nei dintorni di Padova, l'avevano venduto al capo d'una compagnia di saltimbanchi; il quale, dopo avergli insegnato a fare i giochi a furia di pugni, di calci e di digiuni, se l'era portato a traverso alla Francia e alla Spagna, picchiandolo sempre e non sfamandolo mai. Arrivato a Barcellona, non potendo più reggere alle percosse e alla fame, ridotto in uno stato da far pietà, era fuggito dal suo aguzzino, e corso a chieder protezione al Console d'Italia, il quale, impietosito, l'aveva imbarcato su quel piroscafo, dandogli una lettera per il Questore di Genova, che doveva rimandarlo ai suoi parenti; ai parenti che l'avevan venduto come una bestia. Il povero ragazzo era lacero e malaticcio. Gli avevan dato una cabina nella seconda classe. Tutti lo guardavano; qualcuno lo interrogava: ma egli non rispondeva, e pareva che odiasse e disprezzasse tutti, tanto l'avevano inasprito e intristito le privazioni e le busse. Tre viaggiatori, non di meno, a forza d'insistere con le domande, riuscirono a fargli snodare la lingua, e in poche parole rozze, miste di veneto, di spagnuolo e di francese, egli raccontò la sua storia. Non erano italiani quei tre viaggiatori; ma capirono, e un poco per compassione, un poco perché eccitati dal vino, gli diedero dei soldi, celiando e stuzzicandolo perché raccontasse altre cose; ed essendo entrate nella sala, in quel momento, alcune signore, tutti e tre per farsi vedere, gli diedero ancora del denaro, gridando: - Piglia questo! - Piglia quest'altro! - e facendo sonar le monete sulla tavola.

Il ragazzo intascò ogni cosa, ringraziando a mezza voce, col suo fare burbero, ma con uno sguardo per la prima volta sorridente e affettuoso. Poi s'arrampicò nella sua cabina, tirò la tenda, e stette queto, pensando ai fatti suoi. Con quei danari poteva assaggiare qualche buon boccone a bordo, dopo due anni che stentava il pane; poteva comprarsi una giacchetta, appena sbarcato a Genova, dopo due anni che andava vestito di cenci; e poteva anche, portandoli a casa, farsi accogliere da suo padre e da sua madre un poco più umanamente che non l'avrebbero accolto se fosse arrivato con le tasche vuote. Erano una piccola fortuna per lui quei denari. E a questo egli pensava, racconsolato, dietro la tenda della sua cabina, mentre i tre viaggiatori discorrevano, seduti alla tavola da pranzo, in mezzo alla sala della seconda classe. Bevevano e discorrevano dei loro viaggi e dei paesi che avevan veduti, e di discorso in discorso, vennero a ragionare dell'Italia. Cominciò uno a lagnarsi degli alberghi, un altro delle strade ferrate, e poi tutti insieme, infervorandosi, presero a dir male d'ogni cosa. Uno avrebbe preferito di viaggiare in Lapponia; un altro diceva di non aver trovato in Italia che truffatori e briganti; il terzo, che gl'impiegati italiani non sanno leggere.

- Un popolo ignorante, - ripete il primo.

- Sudicio, - aggiunse il secondo.

- La... - esclamò il terzo; e voleva dir ladro, ma non poté finir la parola: una tempesta di soldi e di mezze lire si rovesciò sulle loro teste e sulle loro spalle, e saltellò sul tavolo e sull'impiantito con un fracasso d'inferno. Tutti e tre s'alzarono furiosi, guardando all'in su, e ricevettero ancora una manata di soldi in faccia.

- Ripigliatevi i vostri soldi, - disse con disprezzo il ragazzo, affacciato fuor della tenda della cuccetta; - io non accetto l'elemosina da chi insulta il mio paese.

Un vapeur français quittait Barcelone en Espagne pour se diriger vers Gênes, et il y avait à bord des français, des italiens, des espagnols, et des suisses. Il y avait entre autres un garçon de onze ans, mal habillé et tout seul, qui se tenait toujours à part, comme un animal sauvage, en regardant tout le monde de travers. Et il avait bien raison de regarder tout le monde de travers. Deux années auparavant, son père et sa mère, des paysans des environs de Padoue, l’avaient vendu au chef d’une bande de saltimbanques; ce dernier, après lui avoir enseigné des tours, en lui prodiguant force coups de poing, de pied, et en le privant de nourriture, l’avait traîné à travers la France et l’Espagne, en le frappant sans cesse et en le gardant affamé. Arrivés à Barcelone, n’en pouvant plus de coups et de faim, dans un état lamentable, il s’enfuit loin de son geôlier et courut demander la protection du Consul d’Italie lequel, apitoyé, l’avait embarqué sur ce vapeur, en lui remettant une lettre pour le Questeur de Gênes, afin que ce dernier l’envoie à ses parents, ses parents qui l’avaient vendu come un animal. Le pauvre garçon avait des vêtements en lambeaux et paraissait mal en point. On lui avait donné une cabine de seconde classe.. Tout le monde le regardait; certains l’interrogeaient, mais il ne leur répondait pas, et il semblait éprouver pour tous de la haine et du mépris, tant les privations et les coups l’avaient poussé à bout. Trois voyageurs, pas un de moins, à force de questions, réussirent à lui délier la langue, et en quelques mots maladroits, dans un mélange de vénitien, d’espagnol et de français, il leur raconta son histoire. Ces trois voyageurs n’étaient pas italiens, mais ils comprirent, et un peu par compassion, un peu excités par le vin, lui donnèrent de l’argent, plaisantant et le taquinant afin qu’il leur raconte d’autres histoires; et comme à ce moment quelques dames étaient entrées dans la salle, tous les trois, pour se mettre en valeur, lui donnèrent encore de l’argent, en criant : Prends ceci! Et prends encore cela ! tout en faisant sonner les pièces sur la table.

Le garçon mit tout en poche, remerciant à mi-voix, avec son ton bourru, mais un regard qui, pour la première fois, était souriant et affectueux. Puis il grimpa dans sa cabine, tira le rideau, et resta tranquille, pensant en lui-même. Avec cet argent il pouvait trouver à bord quelque chose de bon à manger, depuix deux ans qu’il se nourrissait comme il pouvait; il pouvait, une fois débarqués à Gênes, s’acheter une veste, depuis deux ans qu’il allait en lambeaux; et il pouvait aussi en le rapportant à la maison, se faire accueillir par son père et sa mère plus humainement que s’il était arrivé les poches vides. Cet argent était pour lui une petite fortune. C’est à cela qu’il pensait, tout consolé, derrière le rideau de sa cabine, tandis que les trois voyageurs discutaient, assis à la table à manger au milieu de la salle de seconde classe. Ils buvaient et discutaient de leurs voyages et des pays qu’ils avaient vus, et d’un sujet à l’autre ils en vinrent à parler de l’Italie. Alors l’un commença à se plaindre des auberges, l’autre des chemins de fer, et puis tous ensemble, s’enflammant les uns les autres, se mirent à dire du mal de tout en Italie. L’un aurait préféré voyager en Laponie, un autre disait qu’il n’avait rencontré en Italie que des escrocs et des brigands, le troisième, qu’en Italie les employés ne savent pas lire.

- C’est un peuple ignorant, répéta le premier.

- Sale, ajouta le second

- Vo... s’exclama le troisième, et il voulait dire voleur, mais il n’en eut pas le temps : une pluie de pièces d’une lire et d’une 1/2 lire tombait sur leurs têtes et leurs épaules et rebondissait sur la table et sur le sol dans un bruit d’enfer. Tous les trois se levèrent furieux, regardant en l’air, et reçurent encore une poignée de sous sur la figure.

- Reprenez votre argent, dit le gamin avec mépris, sa tête apparaissant hors du rideau de la couchette; je n’accepte pas l’aumône de ceux qui insultent mon pays.

da Cuore, di Edmondo De Amicis
Traduction de Pierre Staelen

Auteurs lus :

- Luigi Barzini
- Goethe
- Heinrich Heine
- Leopardi
- Edmondo De Amicis

- Malaparte
- Luciano De Crescenzo
- Luca Goldoni
- Beppe Severgnini

 

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