Retour à la page de présentation des conférences de la saison 2013-2014 19 novembre 2013
Il paragone sardopar Henri MASSIEU
Henri Massieu présente des films à l’Acorfi depuis longtemps. Les thèmes qu’il affronte sont très variés, et parfois nous surprennent : ils vont de l’histoire contemporaine de la Sardaigne aux monuments de sa préhistoire. Ils comprennent une évocation du temps, le temps qui passe, aussi bien que le folklore de la Sardaigne et sa musique populaire. Cette fois on aborde un peu tous ces thèmes par le sujet choisi : c’est le parallèle, presque la confrontation, de la Sardaigne coutumière, de ses vieilles pierres, une Sardaigne de l’intérieur et de la terre, avec la Sardaigne de la mer, moderne et tournée vers le tourisme.
Avant la projection, en quelques mots, Henri Massieu nous présente son film, observant qu’il filme en direct et sans pied, au gré de ses parcours de découverte de la grande île, et qu’il réalise, souvent bien plus tard, le montage et la mise en scène de ses prises de vues, les choisissant et les disposant en accord avec le thème de base. Sans perdre de vue que son premier désir est de nous distraire et de nous amuser, en mêlant au déroulement du film des scènes ou des images insolites, qui prêtent à rire ou à rêver. On assiste donc à l’opposition pacifique des deux Sardaignes. Ainsi la Sardaigne moderne, opulente et évoluée, se manifeste par les sculptures urbaines en art contemporain, ou la rencontre avec l’architecture des nouvelles chapelles, et la Sardaigne antique nous est montrée par les sculptures néolithiques, ou les églises anciennes. De fait, l’architecture des églises de tous les âges (et la Sardaigne peut tous les représenter, des églises paléochrétiennes à celles d’architectes renommés de notre époque) offre un nouvel élément de comparaison. Du campanile de Santa Trinita à Saccargia à celui de San Lorenzio à Porto Rotondo, le contraste est saisissant. Mais la différence est peut-être moins accusée si l’on en vient à comparer dans leur simplicité l’église Stella Maris de Porto Cervo et celle, à la fois paléochrétienne et byzantine, de San Giovanni di Sinis.
Plus subtilement, et par petites touches, Henri nous fait réfléchir au fossé d’incompréhension qui sépare les plantureuses villas, les somptueux hôtels modernes et leurs parcs luxuriants aux arbres rapportés, et les pauvres chaumières abandonnées, la végétation sauvage de l’intérieur souvent déserté. De même il y a loin de la pauvre barque de pêche, abandonnée semble-t-il, aux orgueilleuses régates qui animent la saison touristique en Sardaigne. De son côté la musique, fort bien choisie, accompagne le film d’un bout à l’autre. Elle est le plus souvent adoptée comme un fond sonore et neutre, qui ne prend pas parti entre les deux Sardaigne. Bien sûr, on serait tenté de prendre ses distances avec la Sardaigne moderne. Pourtant, ainsi qu’Henri le remarque, les sardes de l’intérieur eux-mêmes se risquent parfois à la visiter, pour quelques heures seulement, sinon pour y goûter, au moins pour la connaître. Bien vite, le niveau des prix les en chasse, et à Porto Cervo, notre cinéaste constate, amusé, qu’il n’a pu s’acheter qu’une glace ! On devine bien que sa sympathie va à la Sardaigne de l’intérieur, mais la Sardaigne moderne n’est pas abandonnée pour autant. S’il la prend parfois en dérision, le souci de s’adapter et de comprendre porte Henri à faire la part de la présentation d’expositions d’art moderne, ou des préparatifs des fêtes de la saison sur la côte. Cependant son affection pour la Sardaigne rustique, respectueuse des traditions, porteuse des souvenirs d’un passé qui remonte très loin, prend le dessus. On partage volontiers son plaisir à évoquer les nuraghes, vieux de près de 4.000 ans, à les faire visiter, décrire leur fonction, leurs principes de construction. On assiste aussi à un merveilleux défilé de sardes en costume au Monte d’Accoddi, qui est apparenté aux ziggurats de Mésopotamie, et affiche une ancienneté comparable. Si la Sardaigne se révèle ainsi l’une des plus vieilles civilisations de la préhistoire européenne, son mérite de l’ancienneté persiste quand on en vient à évoquer les églises chrétiennes, puisque celle de Cornus, trop oubliée de nos jours, serait la première église paléochrétienne en Europe... Le voyage d’Henri dans la Sardaigne profonde s’effectue en voiture, mais on a apprécié le parcours dans un train rustique sauvé du passé, et compris à quel point la 2CV des jeunes bénévoles sardes pouvait bien s’adapter à l’exploration des sites sauvages et de leurs villages escarpés. Villages qui se révèlent lors des manifestations organisées par (nous l’apprenons) le programme des “chiese campestri”, ou “nel verde” c’est-à-dire des églises champêtres, ou celui des “cortes apertes” ou cours ouvertes. C’est ainsi qu’on assiste à une soirée de musique et chants baroques dans une église du 12° siècle, musique qui présente, comme il est souligné, “des intonations sardes”. Ou bien on se laisse séduire par l’exubérance et le rythme des danses anciennes et on écoute, intrigués et ravis, les “joutes orales” des poètes chanteurs. Dans le domaine artisanal, on peut voir sur un cadre le travail que nous montre fièrement une vieille dentellière de Bosa, ou des châles aux broderies colorées. Un nouvel art, celui des peintures murales, marque sans doute la rencontre des deux Sardaigne, et nous fait visiter les bourgades de Fonno et Orgosolo. C’est peut-être aussi à la juxtaposition des deux Sardaignes que l’on assiste dans le quartier des artistes de San Pantaleo, à Vecchio Porto Cervo. Sur son chemin, Henri Massieu nous fait connaître des artistes italiens contemporains, dont certains ont acquis une renommée qui va bien au delà de l’Italie, comme les sculpteurs Cascella, Ceroli, Minguzzi, et surtout le sarde Nivola. C’est bien l’histoire de la Sardaigne que l’on rencontre, en découvrant, sans doute dans une église, un relief sculpté représentant les quatre écussons sardes qui rappellent le triste sort des sardes défaits par les romains. Plus récent est l’édit de 1860, qui donne à chacun le droit de clôturer, et serait à l’origine des nombreux murs qui abondent semble-t-il dans la campagne sarde. On peut retenir beaucoup du flot d’images que nous apporte le film. Nous conservons aussi celle, souvent émouvante, d’églises ou de villages qu’on n’a vus que brièvement : le village de Scanni Montiferru, l’église de Bonarcado, celle de Sibiola, la cathédrale d’Oristano, les fresques de l’église de Saccargia, l’église Sant’Andrea à Bosa, sans oublier l’église moderne de San Lorenzo à Porto Rotondo. Un souvenir tout aussi vivace sera celui de la musique des sardes, et de leurs instruments, comme le Launeddas dont l’origine remonte aux nuraghi. Curieux instrument qui se joue à souffle continu, et qui est présenté à la fin du film. Les poètes chanteurs sardes, et le rappel du rôle de la musique dans la tradition orale, font l’objet d’une judicieuse comparaison avec la tradition écrite des hiéroglyphes, tradition bloquée tandis que la tradition orale des sardes évolue sans cesse au gré des interprètes. Les acorfiens ont beaucoup aimé cette promenade qui les transportait bien loin, dans une île trop oubliée, et qui comme par magie leur a semblé si proche. De retour dans la réalité, leurs questions et leurs vifs applaudissements démontraient abondamment leur satisfaction, et sans doute leur grande envie de voir ou revoir cette Sardaigne si bien présentée.
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