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12 février 2013
Artemisia Gentileschi (1593-1654). Première femme peintre célèbre de l'histoire de l'Art. Ses combats-sa gloire
par Jean-Louis GAUTREAU
Jean-Louis Gautreau le conférencier aime surprendre les acorfiens. Réputé ignorant la langue italienne il commence sa conférence sur Artemisia Gentileschi dans un italien parfait, ne lui substituant le français qu’après plusieurs minutes, dans les rires de l’assistance.
Avouons que nous connaissions très peu Artemisia, cette artiste-peintre du 17e siècle, qui vécut à Florence, Londres et Naples, et surtout à Rome. Un seul de ses tableaux est visible en France, le Louvre n’en possède aucun. Un roman récent d’Alexandra Lapierre, et surtout une exposition au Musée Marmottan l’ont enfin fait connaître en France.
Avec verve et talent Jean-Louis nous a conté la vie extraordinaire d’Artemisia et la manière dont elle a su s’imposer dans des milieux profondément hostiles. Illettrée, ignorante de tous les arts, sa destinée était de faire le “garzone”, l’éternelle apprentie dans l’atelier de son père. Mais celui-ci s’aperçut très vite de ses qualités, et sa collaboration aux tableaux de son père devint fructueuse, ses œuvres personnelles indiscutables.
Elle subit des épreuves incroyables, depuis les viols par le peintre Agostino Tassi, jusqu’au procès qu’elle dut demander afin d’en obtenir réparation, devant l’incrédulité des juges de ce temps, qui lui infligèrent le “tourment” de la torture.
Comme le rappelle Jean-Louis, on comprend mal de nos jours le sort de la femme au 17e siècle, qu’il décrit ainsi : inégalité à tous les stades de la vie, dans l’éducation, le mariage, l’accès aux arts, à la propriété, éternel état d’infériorité vis-à-vis de l’homme. Mais la forte personnalité d’Artemisia lui permit de vaincre les préjugés, d’assurer son indépendance et, comme il dit, de gagner sa liberté sentimentale. Un tableau de Simon Vouet représentant l’un de ses amants, Francesco Maria Maringhi, est au Louvre.
L’histoire tumultueuse de la vie d’Artemisia est riche d’épisodes et de descriptions que nous livre le conférencier. En voici quelques-uns que nous avons beaucoup aimés.
D’abord le quartier “coupe-gorge” des artistes, notre étonnement (mais rappelons-nous Caravaggio) devant leur usage du poignard, et aussi la clémence du pape. Au fil de la conférence, nous sommes mis au courant non seulement des mœurs et des relations sociales, mais aussi des costumes et des parures dans la Rome de ce temps. Les grands artistes y foisonnent : à quelques années près on y trouve le Carrache, Caravage, le Guerchin, le Bernin, Claude Gelée, Simon Vouet, Nicolas Poussin.
Le séjour à Florence d’Artemisia devait sans doute marquer son épanouissement culturel. Mais pour s’imposer comme peintre dans la Florence de Côme II de Médicis, elle fut obligée d’épouser un artiste comme elle, sans talent du reste, Pietro Antonio Stiattesi. Elle y fréquente d’autres artistes, comme Allori ou le neveu de Michel-Ange, joue du luth, elle rencontre Galilée avec qui plus tard elle entretint une correspondance.
Son séjour à Londres avait pour but de rejoindre son père, et de répondre à la demande de Charles Ier, grand amateur de peinture. C’est enfin à Naples que s’impose définitivement Artemisia jusqu’à sa mort.
La conférence sur cette grande artiste s’accompagne d’une présentation détaillée de ses principaux tableaux.
Jean-Louis en parlant des autres peintres qu’elle a fréquentés ne manque pas de nous présenter leur style et leurs œuvres, son père Orazio, en particulier, et certains tableaux où collaborèrent certainement le père et la fille. Orazio utilisait sa fille comme modèle, mais les qualités de celle-ci le surpassèrent très vite. Le conférencier montre bien où se situe le talent d’Orazio, dans les drapés, les objets inertes, et ses maladresses dans la représentation du corps humain.
D’Agostino Tassi on retient, sur le plan artistique, la capacité à rendre les perspectives, dont on nous présente de beaux exemplaires.
La collaboration d’Orazio et de Tassi nous vaut les fresques d’un pavillon de la villa Borghese, et parmi elles la représentation d’Artemisia tenant un éventail.
D’autres peintres ayant croisé Artemisia, comme Allori, figurent dans cette galerie, comme ceux qui peuvent avoir servi d’inspiration à Artemisia ou exploité le même thème qu’elle. L’essentiel des œuvres présentées et commentées par le conférencier est d’Artemisia elle-même. Celle-ci s’est souvent représentée - elle prenait pour modèle son propre corps - et démontre, au contraire de son père, une parfaite aisance dans la représentation du corps humain, y ajoutant la qualité des mises en scène, l’acuité des expressions, et la science du détail.
C’est ce que Jean-Louis met sans cesse en évidence dans une présentation captivante, dont nous retiendrons plusieurs tableaux.
D’abord “Suzanne et les vieillards” dont on nous montre bien comment l’attitude de Suzanne reflète son état d’âme.
Puis “Judith et Holopherne” où l’on veut voir une transposition des sentiments ressentis par Artemisia elle-même à la suite des épreuves qu’elle a subies. Comme le signale Jean-Louis, Judith et sa servante apparaissent fermes et implacables, leurs mouvements combinés sont d’une extrême intensité. L’intensité dramatique se maintient dans le tableau de la fuite des deux femmes, qui donne l’occasion de comparer le port de la dague par Artemisia au David de Michel-Ange.
Le drame du tableau “Jael et Sisera” s’apparente à “Judith et Holopherne” avec une moindre intensité.
Plus aimables sont les tableaux où Artemisia se représente en modèle, tableau de Catherine d’Alexandrie, ou de Sainte Cécile jouant du luth, ou les auto-portraits d’Artemisia elle-même avec cet instrument. Plus théâtral le portrait d’Artemisia par Simon Vouet, jugé très conventionnel par le conférencier, néanmoins très suggestif d’une implacable volonté.
Dans le portrait d’une dame assise Artemisia montre toute l’étendue de son art, et Jean-Louis nous fait remarquer, admirer chaque détail de la robe et des bijoux.
Mais le portrait de nous préférons est celui qui marque la fin la conférence, “allégorie de la peinture”, lui aussi abondamment décrit et commenté par le conférencier, qui nous fait comprendre et apprécier chacun de ses détails.
Avant de terminer une remarque : il ne reste rien des autres tableaux, de compositions florales en particulier, pour lesquels Artemisia était elle aussi réputée. Avec bien d’autres, ils sont à retrouver, et les découvertes récentes nous le laissent espérer.
La conférence se termine par les nombreux applaudissements d’une salle conquise et charmée, qui gardera longtemps le souvenir de cette soirée.
©ACORFI
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