On pourrait distinguer trois types de fleuve parmi les fleuves de lantiquité : les fleuves internes, comme le Pô, les fleuves frontière, comme le Rhin et le Danube, et les fleuves mythiques, comme le Nil et le Tibre.
Le Tibre, le fleuve de Rome, curieusement na pas toujours fait bon ménage avec la ville, quil inonda fréquemment avant dêtre lui-même envahi par elle.
Long de 396 km, il coule des Apennins à la Mer Tyrrhénienne. Ses principaux affluents se trouvent sur la rive gauche ; lAllia (aujourdhui Nera) et lAgno (aujourdhui Aniene).
La Rome latine était située sur la rive gauche à 26 kms de la mer, la colline du Palatin se trouvant elle-même à 300 mètres du Tibre.
On ne peut pas parler du Tibre sans mentionner Enée, Hercule, et Romulus et Rémus, avec lecture de très beaux textes poétiques.
En particulier les chants 7 et 8 de lEnéide de Virgile nous font vivre la scène du Troyen Enée quand son navire pénètre dans les flots du Tibre :
Et déjà la mer s'empourprait sous les rayons et, du haut de l'éther, l'Aurore couleur de feu brillait sur son char vermeil, quand soudain les vents se posèrent et tout souffle s'arrêta : les rames luttaient sur le marbre paresseux de la mer. Alors du large, Énée aperçoit un bois immense. Au milieu de ce bois, Tibérinus, un fleuve charmant, aux tourbillons rapides et aux flots jaunis par le sable qu'il charrie, se déverse dans la mer. Tout autour et par dessus, des oiseaux de toutes sortes, familiers de ses rives, charment l'éther de leur chant et survolent le bois. Énée ordonne à ses compagnons de faire virer les proues vers la terre, et, tout heureux, il s'enfonce dans l'estuaire ombragé.
La fondation de Rome en 753 av. J.-C. nous renvoie au Tibre, qui devait noyer les enfants Romulus et Rémus dont lhistoire, contée par Tite-Live, nous est lue en partie.
Le premier pont que les Romains construisirent afin de franchir le Tibre était le pont Sublicius. Cétait un pont en bois. Il avait un rôle défensif, car il permettait de se rendre à la colline du Janicule, lieu dobservation et de défense, et un rôle commercial. Cest le roi sabin Ancus Marxius qui le fit construire.
En 509 cest la république et le roi Étrusque Porsenna attaque Rome. Tite-Live nous conte lhéroïque défense du pont Sublicius par Horatius Coclès qui, ralliant ses hommes en fuite, se bat seul contre les Étrusques, jusquà la rupture du pont barrant ainsi la route à lenvahisseur.
Le Tibre intervient par la suite dans lhistoire de Clélie qui se sauve à la nage échappant ainsi à Porsenna,
En 390 cest linvasion des Gaulois et la défaite romaine de lAllia. De nombreux romains, dans leur fuite, périssent noyés dans les eaux du Tibre. Rome est livrée au carnage.
Les Romains pensaient reconstruire leur ville à Véies, ancienne capitale des Etrusques. Camille sy oppose, en un discours fameux qui évoque tous les avantages de la situation présente, en particulier la position près du Tibre.
Mais la ville reconstruite sera ingrate, car elle fera peu à peu disparaître le fleuve.
Les ponts construits par les Romains sur le Tibre, dans lordre de construction (la plupart nexistent plus) :
Au temps dHadrien il existait 9 ponts à Rome. Mais ces ponts étaient de purs moyens daccès et la Rome latine continuait de sétendre principalement sur la rive gauche. Le Vatican nexistait alors que comme lieu des fêtes organisées par Néron, et la preuve de cette désaffection est que le Trastevere ne reçut des aqueducs que très tard.
En fait il sagissait surtout de lutter contre les errances du Tibre qui rendait la plaine marécageuse. Il y avait nécessité de drainer (doù le nom de Forum), et les eaux sales étaient ramenées vers le Tibre, formant la cloaca massima.
En 312 on a le premier aqueduc , et en 144 laqueduc de laqua marsia, le plus important; cest leau de lAgno quil transporte, et ce dernier devient ainsi le deuxième fleuve de Rome !
Mais le Tibre continue dinonder fréquemment les partie basses de Rome. Voici les années des inondations les plus importantes : 376, 202, 193, 192, 189, 181, 166, 54, 23 av. J.-C. et 15 ap. J.-C.
Tite-Live a raconté les inondations de 193 et 192, qui emportèrent 2 ponts et faillirent détruire le Temple de Vesta. Lune des inondations les plus terribles fût celle de 69 ap. J.-C., des passants, des personnes surprises dans leur lit, furent emportés, les magasins de provisions envahis par leau, ce qui provoqua une famine générale.
Pourtant, dès lan 15 ap. J.-C., sous Tibère, on avait créé la Cura du Tibre, une sorte de ministère formée de cinq curateurs chargés de remédier. Sous César des projets de détournement qui auraient éloigné le Tibre de Rome (le Vatican serait passé à la rive gauche) et lauraient privé de ses affluents, ne purent aboutir devant lhostilité des diverses populations concernées, et la mort de César les fit abandonner.
Entre-temps le Tibre continue daider à ravitailler Rome avec deux ports :
Mais ces ports ne suffisaient pas, et le blé dÉgypte était principalement débarqué à Pouzzolle près de Naples, doù on lacheminait par bateau en cabotage ou par la route.
Cest alors que sous Claude commença construction du port dOstie, les travaux durèrent de 42 à 54 ap. J.-C.
Ostie était une réalisation grandiose, dont on neut une idée exacte quen 1960 lors de la construction de laéroport de Fiumicino avec les découvertes archéologiques qui sensuivirent.
Il y avait un grand bassin avec des môles pour 250 navires, et au centre une île artificielle créée en coulant le navire qui à lépoque de Caligula, avait apporté lobélisque dEgypte à Rome. Celle île portait un grand phare de 4 étages,
Mais ce port ne suffisait pas, il sensablait, et on continuait dutiliser Pouzzolle. On construisit alors un nouveau bassin pour 200 navires en plus.
Arrivées à Ostie les marchandises étaient transbordées et transportées à Rome dans des barques à fond plat que lon halait jusque Rome en 3 jours. Lannone (la récolte de céréales) constituait la moitié des denrées transportées.
Des écrits nous démontrent quon se baignait dans le Tibre au temps de la République, mais quon le faisait plus lors de lépoque impériale.
Bien quil sagisse dune divinité importante, on parle peu du Tibre dans les lettres latines, si ce nest lEnéide de Virgile.
Cependant le Tibre avait une fonction de présage soulignée par Tacite, et lon organisait des fêtes en son honneur. La fête officielle du Tibre a lieu le 8 décembre.
Une autre fête a lieu le 15 mai : ont y jette des mannequins du haut du pont Sublicius, mannequins préalablement transportés en procession dans des chapelles les 16 et 17 mars.
De ces fêtes il est question dans le livre 3 de lencyclopédie ou histoire naturelle de Pline lancien.
Par la suite le Tibre est de moins en moins visible à Rome, qui lenserre, le recouvre, et sétend loin de lui.
Sa statue de Dieu elle-même est concernée; on ne le voit plus debout, mais couché : au musée des Conservateurs à Rome, aux bassins de Versailles et des Tuileries.
Néanmoins, on pourrait dire en conclusion que si lautre fleuve mythique, le Nil, est le symbole de lOrient, le Tibre, lui, demeure le symbole de lOccident.
Plusieurs questions et demandes de précisions ont suivi cet exposé nourri et très documenté, rempli de détails historiques mais aussi de lectures de textes anciens pleins dune poésie insoupçonnée, qui enchantèrent lassemblée et permirent de rappeler que lItalie avait commencé sa longue histoire avec Rome et son passé glorieux.