J7, vendredi 27 juin : FERRARA

Les Este

 

Ferrara

Cité belle et élégante, ceinturée de remparts souvent transformés en jardins publics, Ferrara abrite plusieurs villes juxtaposées. Ville médiévale, elle prend aussi le visage de la Renaissance offrant aux visiteurs une belle harmonie dans les différents styles qui la composent. La promenade intra muros se fait sans heurt et nous franchissons allègrement les siècles qui ont fait de cette ville ce qu’elle est aujourd’hui. Touchée par l’influence étrusque, gauloise, elle se peupla bien tôt de colonies romaines. Le Ducatus ferrariae est né le long du cours principal du Pô à l’endroit où le bras de Primario divergeait du bras Volano. Il existe deux pôles distincts: le premier noyau de la ville s’est constitué autour de la cathédrale San Giorgio, le second est le “castrum byzantinum“ du quartier San Pietro. La ville passe du contrôle des Lombards à celui de l’église romaine quand le duché est offert en 986 à Tebaldo di Canossa par le Pape Jean XV. Son importance stratégique et commerciale en fait un lieu disputé entre l’Empire et la Papauté… D’où des luttes incessantes qui opposent les Guelfes et les Gibelins.

La famille d’ESTE acquise à la faction guelfe papale et grâce à l’appui des Vénitiens, prend bientôt le contrôle de la ville. Obizzo II est proclamé seigneur en 1264. Nicolo II fait construire le Château, “Castello d’Este“ en 1358, puis obtient du pape, en 1391, la reconnaissance de Ferrara comme siège universitaire, d’où sa renommée grandissante et son dynamisme de riche ville commerçante. Les souverains Nicolo III, Leonello et Borso font honneur à la famille d’Este et accroissent le prestige de la ville qui connaîtra son apogée sous leurs règnes respectifs. Elle devient alors un foyer humaniste, littéraire, savant et raffiné. Le duc Leonello s’entoure de peintres de renom tels Cosme Tura, Cossa, Garofalo et Dosso Dossi. Le cardinal Hippolyte d’Este attire à la cour, des écrivains comme le poète épique ferrarais, auteur de “Orlando furioso”, Ludovico Ariosto (1474-1533) dont on peut visiter la maison, aujourd’hui bibliothèque de quartier. Citons aussi le Boiardo, poète influencé comme l’Arioste par le roman chevaleresque français : à preuve son “Orlando innamorato : "Roland amoureux" (1484).

Plus tard, le duc d’Este accueillera aussi le poète Torquato Tasso (1544-1595) qui écrit l’épopée de la Gerusalemme liberata ou "Jérusalem délivrée". Ce créateur follement mélancolique et furieusement atrabilaire connaîtra la prison ferraise pendant 7 ans !

Entre temps la ville s’agrandit et se garnit de remparts grandioses et de nouveaux quartiers. Extension de la ville appelée “L’Addizione Erculea” pour laquelle l’architecte Biagio Rossetti marqua la ville du sceau de la modernité . Ce fut l’époque de la Renaissance particulièrement brillante à Ferrara. Construction de villas princières, érection de splendides palais dont le palais Schifanoia que nous visiterons ainsi que le remarquable Palais dei Diamanti, bijou de la Renaissance ferraraise. En-dehors de Ferrara, le duc Borso fit construire la Chartreuse de San Cristoforo . Son corps repose dans le cimetière du couvent que nous ne verrons pas . La famille d’Este, bâtisseuse de sa propre gloire, tirait ses revenus de ses gages de Condottiere tantôt au service du pape, de Venise ou des Français, selon les circonstances, sans compter des taxes levées sur le trafic fluvial du Pô.

Le XVIIe siècle verra le début de la décadence du duché progressivement affaibli par la politique fastueuse des ducs d’Este et par le déplacement vers le Nord du bras principal du Pô, favorisant ainsi les Vénitiens, ce qui entraînera le déclin culturel et commercial de cette cité fastueuse. Ferrare voit son aura décliner : au XVIIe siècle, elle devient une province des États de l’Église. Au XVIIIe, sous Napoléon, elle est occupée par les Français, puis englobée dans la République cisalpine. Finalement, elle sera rattachée, en 1860, au royaume d’Italie.

L’histoire moderne est marquée par l’engagement des luttes ouvrières, la montée du parti fasciste et celle de la Résistance aux Allemands. Elle subit les bombardements de la dernière guerre. Aucun auteur contemporain n’a mieux parlé de la ville du XXe siècle que  ferrarais Giorgio Bassani, aujourd’hui célèbre pour son “Roman de Ferrare” dans lequel il fait revivre la communauté juive de la ville.

 

Palazzo Schifanoia

Commençons la visite de cette cité au passé illustre. Nous voici devant le Palais Schifanoia (la Villa Sans Souci). L’édifice paraît austère dans l’enfilade des anciens casernements désaffectés qui bordent la rue mais un beau portail sculpté nous rappelle que ce fut un lieu de plaisir et de loisirs raffinés, tant vanté par la princesse Isabella d’Este qui y passa un enfance heureuse et brillante. C’est Alberto d’Este qui fit édifier cette villégiature à partir de 1385. Remaniée ensuite par Borso d’Este, elle devait avoir belle allure, avec sa façade peinte à fresque et faux marbres polychromes     couronnée de créneaux peints. Les représentations théâtrales étaient données devant la façade, telle une splendide toile de fond.

L’aile du XIVe siècle abrite collections de peintures, livres enluminés, bronzes, objets en ivoire, céramiques, médailles. La vaste Salle des Mois révèle l’une des plus importantes fresques italiennes du XVe siècle, œuvre collective due à plusieurs peintres de l’école ferraraise guidée par des artistes tels Francesco del Cossa et Ercole dei Roberti. Le contenu symbolique et culturel du cycle serait dû au célèbre humaniste de la cour d’Este, Pellegrino Prisciani. L’ensemble était partagé en douze parties verticales — les douze mois de l’année — chacune divisée en trois bandes horizontales. Il n’en reste que sept ! les mois de mars à septembre. Véritable représentation de la conception du monde de la Renaissance. Nous contemplons une merveille peinte où le monde des dieux se mêle à celui des hommes, où le règne animal symbolise les astres, où foisonne une végétation florale sur fond de nature vivace. (cf. photos : livre p 71 et 77) . Bien sûr, les fresques ont subi les injures du temps mais telles qu’elles se présentent à nos yeux, elles nous enchantent.

La bande supérieure est réservée au monde divin : celui des dieux et déesses de l’Olympe accompagnés par les arts, les loisirs et les industries qu’ils protègent. Nous reconnaissons Minerve, Vénus, Aurore, Cybèle, Vulcain…

Le registre inférieur se réfère au monde humain personnifié par Borso d’Este glorifié comme un administrateur sage et juste de son duché. Mois de Mars : Il part pour la chasse au faucon entouré de cavaliers et de chiens. Ils piaffent sous d’élégants portiques antiquisants. Entre ces deux mondes, les artistes ont inséré les signes des zodiaques occidental et égyptien. Nous sommes en Mars : Surgit un Bélier, comme dompté par une jolie femme en lévitation, flanquée de deux figures allégoriques. Toutes trois représentent les décans. Au mois d’août, une femme vêtue de blanc immaculé étire sa silhouette serpentine, occultant presque le disque solaire, arc-boutée sur ses mains élégantes, le visage en éveil, beauté chimérique, elle figure le signe de la Vierge. Belle page d’astrologie qui se lit dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Un beau plafond à caissons bleu et or coiffe la Salle des Stucs (photo : doc Daniel ). C’est l’œuvre de Domenico de Paris (XVe siècle).

En quittant le palais joliment dit Schifanoia : chasse l’ennui ! nous saluons la statue du duc Borso, dont la trogne à la Tognazzi, force le sourire. Quelques mots sur la personnalité de Borso d’Este (photo : doc dani : né en 1431, fils illégitime du marquis de Ferrare, Nicolas III d’Este et de sa maîtresse Stella dei Tolomei, il succède à Leonello d’Este en 1450. Il reçoit de l’Empereur Frédéric III, le titre de duc qu’il est le premier à porter ainsi que la confirmation de ses fiefs : Modène et Reggio da Modena. Anobli par le pape Paul II dans la basilique Saint Pierre, son nom reste associé à la Bible (photo: doc Daniel ) ) qu’il fit réaliser par Taddeo Crivelli et Franco dei Russi entre autres collaborateurs, fameux miniaturistes ferrarais. Admirable travail dont on peut souligner la construction en perspective des vignettes enluminées autant que la description sensible et naturaliste ornant les lettrines. Après un court transfert en car, nous entrons dans la ville ancienne par la rue des Anges actuel corso Ercole 1er, rue pavée de petits galets ronds inégaux. “ Un chemin… malaisé et de tous les côtés au soleil exposé.“ Le calme du lieu nous surprend — il y a plus de vieux vélos rouillés et bringuebalants que de voitures. Parfois nous croisons des enfants aux casquettes rouges, jaunes,vertes et bleues, couleurs du Palio, sport dont s’enorgueillit chaque cité médiévale italienne, notes joyeuses sur notre route pèlerine. Nous flânons le long du Corso Ercole d’Este (addizione Erculea) les yeux sur les façades des Palais du Monte di Pietà construction du XVIIIe,ceux de Giglioli, Varano et de Giulio d’Este dont l’architecture est due à l’incontournable Biagio Rossetti… le palais Camerini (XIXe) puis nous arrivons au Quadrivio degli Angeli ( photos : 7573-7575 -7581-7582-et suivantes 7586 ) flanqué de quatre édifices de style différents qui s’harmonisent en s’observant des quatre coins.

 

Palazzo dei Diamanti

Nous voici devant le Palazzo dei Diamanti (photos ci-dessus) merveille et curiosité architecturale, commencée en 1492, sur l’ordre de Ercole 1er d’après les plans de B. Rossetti, à qui la ville de la renaissance doit son unité. Ce palais fait partie d’un gigantesque agrandissement de Ferrara. Située au nord de la cité médiévale, cette extension de nouveaux quartiers aux rues larges et lumineuses plaça, en son temps, Ferrara en tête des villes modernes d’Europe.

Sa conception est due à Rossetti aidé de Frisoni, pour le compte de Sigismond d’Este (frère d’Ercole). Le palais resta propriété de l’illustre famille jusqu’à son rachat par la famille Villa qui la flanqua d’un portail monumental. Son originalité tient à sa façade constituée par un bossage de 8 000 pierres pyramidales ou diamants d’où son nom éponyme. Certains documents parlent de 8 500 voire de 12 000 pierres. Nous n’avons pas vérifié ! la saillie prononcée des “diamants “, leur disposition décalée confèrent à la masse une grande valeur plastique et force le regard admiratif ! Avec une restriction cependant concernant l’angle orné d’un balcon et de parastates sculptés par Frisoni. Pour corriger l’effet incongru, le palais Prosperi-Sacrati a vu son encoignure s’orner aussi d’un balcon sur parastates… Curieux vis à vis ! ( photo : 7574 )

Le palais des Diamants abrite la Pinacoteca Nazionale (1956). Au rez de chaussée, la galerie d’Art Moderne que nous ne visiterons pas. À l’étage noble, s’ouvrent les salles réservées à la peinture ancienne. Elles contiennent des œuvres recueillies dans les églises et acquises à l’extérieur du duché (les XIIe et XVIIe siècles bien représentés.) Mais les riches productions ferraraises du XVe ont quitté les cimaises du palais Éparpillées et vendues, elles ont accompagné le déclin de la famille d’Este. Celle-ci dut se défaire de ses chefs-d’œuvres, en même temps qu’elle perdait sa puissance économique. Œuvres dispersées dans les grands musées du monde. Seuls des médaillons du XVe et quelques fresques peintes nous rappellent le temps de splendeur du palais Schifanoia, illustré par la Salle des Mois que nous avons admirée le matin même. Ajoutons, les petites œuvres d’art , qu’aimait le prince Leonello : il confia le soin des médailles portant son effigie à son artiste préféré Pagello.

Nous parcourons les salles, le salon d’honneur magnifiquement orné d’un plafond à caissons et de tableaux centraux provenant de couvents… décors de frises peintes , grotesques raffinés… Nous voyons la galerie de portraits des membres de la famille Villa qui succéda à la famille estampes.

Quelques belles œuvres retiennent notre attention : “l’Adoration des Mages“, une “Vierge sur un trône entourée de Saints“ exécutées par Garofalo (une exposition exhaustive de ses œuvres nous attend au Castel d’Este), un magnifique polyptyque dit de Costabili représentant “San Giorgio et le Dragon“ de Dosse Dosse disent la valeur picturale des peintre ferrarais du XVIIIe siècle. (photos) Reste du XVe siècle, deux médaillons remarquables peints par le peintre ferrarais Cosse Tua qui travailla pour la famille d’Este : le “ Jugement de San Maurelio“ et la “Décapitation“ (PHOTOS).

Au sortir de la pinacothèque, jetons un coup d’œil sur le Palais Prosperi-Sacrati pour l’admirer et prendre dans la boîte à images quelques détails architecturaux de grande qualité : le portail polychrome représente une belle réussite de la sculpture ferraraise du XVIIIe… (photo). Tons roses, blancs, gris… L’influence vénitienne y est sensible dans le balcon aux élégants fuseaux, duquel pendent avec grâce d’adorables putti nonchalamment assis sur l’entablement des colonnes corinthiennes soutenant le balcon d’apparat.

 

C’est l’heure de déjeuner dans une discrète auberge du centre-ville : légumes crus à la croque au sel de Cervia, charcuterie du terroir, rizotto à la sauge et ravioles de courges au beurre à l’orange… nous terminons par un gâteau au chocolat et mascarpone sans oublier le délicieux café “ristretto“ dont certains de nous ne se lassent pas. Il chasse la fatigue et nous permet de poursuivre nos pérégrinations touristiques.

 

Duomo San Giorgio

Nous voici devant le Duomo San Giorgio, sur la piazza cattedrale. Commencé au XIIe siècle, cet édifice témoigne à lui seul, des différents styles artistiques liés aux époques successives de sa construction. Bâtie selon l’austère style roman, la façade est allégée par des apports harmonieux de style gothique qui lui donnent de l’élan. (photo 7646) ; Trois plans rythment la façade décorée de petits arcs en plein cintre, de rosaces et de grandes niches profondément ébrasées. La géométrie de la façade est accentuée par le profil de deux contreforts et le prothyron original qui mène au portail principal: il est orné de lions stylophores surmontés de télamons, sortes d’atlantes en position assise. Sans doute l’ensemble de l’œuvre doit-il être attribué à plusieurs architectes ( photos ). Autour de l’édifice furent construits la résidence des Marquis, le palais de Justice et le palais du podestat, ce qui fit de la place de la cathédrale le centre architectural et le cœur politique de la ville.

Certains plans de la façade sont particulièrement travaillés : le tympan sculpté de la partie romane montre le Chevalier San Giorgio terrassant le dragon. La logette du prothyron finement ouvragée présente une gracieuse Vierge à l’Enfant. Un Jugement dernier occupe Le tympan triangulaire qui la surmonte. D’une niche, en bas, à droite de la façade, le prince Alberto d’Este surveille la place et le Palazzo municipale. C’est à lui que Ferrara doit l’ouverture de son Université. Deux rangées de loges aux colonnettes sculptées dominent la place Trento et Trieste au bout de laquelle s’élève le campanile renaissance, inachevé, tout de marbre blanc et rose, attribué aux dessins de Leone Battista Alberti . Nous retrouvons la “patte “ de Biagio Rossi, dans les arcs en terre cuite et les chapiteaux en marbre de l’abside faite de briques. ??? L’intérieur de la cathédrale est le résultat de travaux faits au XVIIIe siècle. Grand espace à cinq nefs, le duomo contient des œuvres d’art intéressantes. Nous retrouvons, Benvenuto Tisi dit Garofalo dont le nom revient sans cesse comme le leitmotiv de notre journée. Il peignit deux fresques représentant les Saints Pierre et Paul. De multiples tableaux de qualité : le nom du Guerchin apparaît avec le Martyre de Saint Laurent, celui de Bonacossi , de Torelli et surtout Bastianino . Celui- ci, inoubliable en quelque sorte car sa fresque grandiose du Jugement dernier s’impose comme une copie maladroite de celle de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine. Réalisée en 1577, elle frappe par son aspect “imité“ et laborieux qui me rend plus que jamais consciente du génie de Michel- Ange, inspirateur d’un pâle copiste. Stupéfaite, je consacre mon attention à la contemplation de cette fresque qui remplit la cuvette de l’abside, comparant le maître à son élève, sceptique quant à la valeur de cette fresque monumentale. Le reste de l’édifice frappe par sa fastueuse décoration. En sortant, je salue les deux Anges marmoréens, porteurs de bénitiers. Leur élégance baroque, le drapé de leur tunique ouverte sur le galbé de la jambe en mouvement , le doigt levé vers le Ciel, tout est grâce dans leur attitude et charmée, je réponds à leur sourire avant de quitter les lieux. (Photos:7646-7640-7637-7601-7602-7614deja faite) duomo extérieur et intérieur. Une courte mais pénible traversée nous mène au Castello Estense (château des Este) dit aussi Château San Michele, situé en pleine ville : robe de briques roses ceinte du large ruban moiré de vert de ses douves. Un passage couvert relie l’édifice construit à partir de 1385, pour Nicolo d’Este, au palais dit des Marquis , aujourd’hui Palazzo municipale. L’architecte Bartolino da Novara, chargé de la construction du château, y intégra une tour déjà fortifiée au nord-est de la ville, la Torre des Leoni = des Lions. Trois tours furent ajoutées de façon à former un quadrilatère relié par de hautes courtines . D’abord utilisé comme commandement militaire, il fut transformé par Ercole II qui en fit un palais de cour, lui donnant ainsi sa physionomie actuelle. Les bretèches furent abattues, remplacées par des balustrades en pierre blanche atténuant l’austérité de la construction médiévale qui nous apparaît ceinturée d’élégants colliers clairs sur fond sombre. L’architecte Girolamo da Carpi rehaussa l’ensemble d’un étage et imagina “La Loggia des orangers“ appelé aussi jardin des Duchesses, agréable lieu de repos où nous flânerons un instant. Nous accédons à la la cour d’honneur en franchissant le pont-levis et les demi-lunes. La visite intérieure de la tour des Lions est très intéressante et rappelle les mœurs cruelles de ces seigneurs de la Renaissance que furent les condottieres d’Este. Elle renferme les tristes prisons où furent décapités Ugo d’Este et Parisina Malatesta, couple adultère ainsi châtié par Nicolo II, l’époux de Parisina. Nous avons une pensée pour le couple maudit “ Francesca e Paolo Malatesta “que Dante plaint tendrement, dans sa Divine Comédie, bien qu’il les ait condamnés aux peines de l’Enfer ! Nous visiterons les cuisines et prendrons l’escalier des “ Cannoni “ débouchant au 1er étage en imaginant le sombre fracas répercuté sous les voûtes grandioses.

Ce premier étage comprend un ensemble de salons ornés de fresques remarquables peintes au plafond. Nous découvrons avec admiration il Salone et la Salette dei Giochi ( jeux ) qui retient particulièrement notre attention. Grâce à un astucieux jeu de miroirs, nous voyons, déployées sous nos yeux, les merveilles tombées du ciel. Réalisées au XVIe siècle sous le duc Alfonso II, elles gardent la mémoire des artistes ferrarais, les Filippi et Bastianino (l’exécuteur fameux du Jugement dernier dans l’abside del Duomo). ( photos ) C’est un fête pour l’oeil et pour l’esprit que de contempler ces jeux “ olympiques “, d’inspiration gréco-romaine, ces prouesses accomplies par des athlètes nus, s’exerçant à la lutte , au lancer de poids, à la course aux quadriges, à la natation, au lancer du disque… au milieu de ces corps d’hommes en action, s’ébattent curieusement des femmes jouant à l’escarpolette, assez lourdement à vrai dire mais pleines d’ardeur dans l’élan ! Nous sourions à leurs ébats sportifs ! Puis nous assaille le souvenir de Lucrezia Borgia (seconde épouse d’Alfonse 1er d’Este et fille du pape Alexandre VI) en pénétrant dans les Camerini, ravissants petits appartements dont le Cabinet des Bacchanales où trône Ariane si vite séduite par Bacchus après avoir pleuré l’abandon de Thésée l’infidèle. La décoration est due à Garofalo dont le nom commence à nous devenir familier. Nous passons dans la salle de l’Aurore où figurent les splendides allégories des quatre moments de la journée. Au centre de la composition, le vieux Chronos figure le Temps entouré des trois Parques maîtresses de notre destin. Partout, murs et plafonds nous prennent dans une éblouissante symphonie de couleurs fraîches et vives, partout s’ébattent des Putti, foisonnent les grotesques et les motifs floraux célèbrant le goût de l’Antique et celui de vivre ! Temps suspendu ! Pur contraste, quand nous franchissons le seuil de la Chapelle de Renée de France (fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne). En effet plus de représentations humaines, de belles images du Panthéon chrétien, ni de putti en grappes mais un premier exemple de temple calviniste. La duchesse Renata, épouse d’Ercole II avait embrassé la religion réformée et obtenu de prier dans un cadre plus conforme à ses aspirations religieuses. Cette duchesse cultivée fut la muse de Clément Marot qu’elle invita à sa cour. Femme de caractère, elle sut imposer ses idées et reçut Jean Calvin à Ferrara en 1536. À la mort de son époux, elle revint en France où elle mourut à Montargis le 15 juin 1575. Nous l’évoquons dans cette belle salle intimiste revêtue de précieux marbres polychromes empêchant l’apposition d’images, salle malheureusement ornée d’un plafond ajouté au XIXème siècle où figurent les quatre évangélistes. Véritable faute de goût !

Après cette promenade princière, place à l’exposition du grand homme de Ferrare, de retour dans sa patrie après des siècles d’ exil en pays étranger : je veux parler du peintre GAROFALO dont le nom court sans cesse sur les lèvres de nos guides volubiles et enthousiastes. Leur discours aura le ton fiévreux de qui veut convaincre que personne n’égale Benvenuto Tisi, né à Garofalo en 1476 et mort à Ferrara en 1559. Nous saurons tout sur ce personnage et sortirons de notre ignorance, à la suite d’une longue visite, ponctuée de stations respectueuses devant les chefs-d’œuvres de nous inconnus mais incontournables ! ! ! Nous saurons que la fondation “Ermitage Italia“ est à l’origine de cette remarquable exposition,en collaboration étroite avec le musée de “ l’Ermitage “ à Saint Pétersbourg et la ville de Ferrare. Nous saurons que c’est la première du genre consacrée à GAROFALO dont la peinture, déjà qualifiée de “ moderne “ par Vasari, influença toute l’école ferraraise durant la première moitié du quinzième siècle. Nous saurons qu’il connut Giorgione à Venise et qu’il tient du peintre vénitien son art de traiter les paysages baignant de lumière la scène sainte inscrite au premier plan. Nous saurons que son séjour à Rome lui permettra d’absorber l’influence de Raphaël et avant tout celle de Mantegna… peintre vénéré par la famille d’Este. Nous saurons et nous verrons, yeux écarquillés, peu à peu pris par le charme persuasif de nos jolis mentors féminins, les merveilles prêtées par les musées russes. Des œuvres exceptionnelles que nous admirerons pieusement : “Les Noces de Cana“,Le Chemin de Croix” et la spendide “Allégorie de l’Ancien et du Nouveau Testament “. Cette dernière ayant souffert d’un sort particulier : roulée dans une quelconque réserve, elle dut souffrir plusieurs années avant de revivre sous le pinceau restaurateur et de se montre présentable au public. L’émotion nous gagna quand nous vîmes “La Mise au Tombeau“ qui, outre sa grande valeur artistique, doit son importance au fait qu’elle fut la première œuvre de la Renaissance italienne arrivée en Russie en même temps que Pierre le Grand ! Quel honneur ! Surtout quand l’on sait que les princes russe furent persuadés qu’elle était de la main de Raphaël ! Magistrale erreur !

Malgré notre lassitude, nous aurons encore la force d’admirer “La Sainte Famille“ due bien sûr, au pinceau de Garofalo. Puis, subjugués par la maestria de nos femmes savantes, nous ne pourrons que nous incliner devant la merveilleuse ” Sibylla “ de Dosso Dossi, “La Vierge“ de Domenico Panetti, ou celle “en Majesté“ de Francesco Francia… Notre capacité d’admiration prit de telles proportions que le syndrome de Stendhal cueillit certains d’entre nous, titubants, près de l’évanouissement... d’autres, pestant, avaient déjà regagné la cour d’honneur où se préparait le concert du soir et goûtaient le confort d’un siège à l’air libre... Les accents musicaux apaisaient les humeurs. Visite en tout point remarquable que nous n’oublierons pas : le nom de Garofalo est à jamais gravé dans nos herbiers- souvenirs. À chaque fois que nous cueillerons un œillet= garofano, nous penserons au peintre italien qui choisit ce pseudonyme proche de son nom, à une lettre près. Pourquoi ne pas adopter cette fleur fétiche que Garofalo utilisait en guise de signature ? Commentaire personnel de Daniel Labrette sensible à la beauté italienne sous toutes ses formes : “ Merci GAROFALO ! dont la fin dut être bien triste puisqu’il devint aveugle en 155O ! Merci Madame X, notre guide du second groupe. Une longue jupe chatoyante fendue sur le côté, petite veste noire aux manches courtes, lunettes et sandales assorties, bijoux discrets… Toute l’élégance et le raffinement italiens ! et un savoir ! qu’elle sut nous transmettre dans un français impeccable. SORTILÈGE ! …”  Merci Daniel ! Grâce à toi, désormais Madame X s’appellera Madame Garofalo. La Femme-Œillet ! Je laisse le soin de clore le reportage de notre journée ferraraise au poète Gabriele d’Annunzio ( mort en 1938 ) qui sut retrouver le charme secret de la ville des princes d’Este dans un poème mélancolique dont voici quelques extraits :  

        “Ô beauté déserte de Ferrare
        je te louerai comme on loue le visage
        de celle qui s’incline sur notre cœur
        pour se souvenir de son bonheur passé ;
        et je louerai ta bulle d’air et d’eaux
        qui renferme  ta divine mélancolie musicale.
        Je louerai celle que je préférai d’entre ces femmes mortes,
        le fin sourire que je ne peux saisir
        et le si beau visage qui console mon âme.
        Je louerai tes cloîtres où se tut la douleur de l’homme
        enveloppé de bure apaisante et où chanta le rossignol
        ivre de de folie.
        (allusion au poète Le Tasse enfermé dans un cloître à Ferrare )

        Je louerai tes rues paisibles,
        grandes comme des fleuves
        qui mènent à l’infini celui qui s’en va seul
        pris dans ses pensées ardentes
        (…)

        Je louerai encore le rêve de volupté enseveli
        sous les pierres nues avec ton passé.

Poème extrait des “Laudi : le Città del silenzio“   

 

Après cela, s’impose le silence mais reste le souvenir vivant notre balade ferraraise.

 

 

Quelques liens :

Romagne '08