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23 novembre 2021

 

La Sicile "arabo-normande" (XIe-XIIe siècle)

par Jean-François BRADU

Ce soir un nouveau conférencier, Jean-François BRADU, professeur d’Histoire-géographie, déjà remarqué par les Orléanais vu son intérêt pour la mosaïque de Germigny-des-prés et sa maîtrise d’Internet, est venu nous entretenir de


La Sicile arabo-normande.

Thème traité à la suite de la présentation, par notre président des temples grecs de l’ouest de la grande île. Ces deux interventions visaient à souligner l’importance des œuvres que les membres de l’ACORFI pourront découvrir au printemps prochain.

En introduction le conférencier précise trois points :

    - Pour bien comprendre la Sicile normande, il faut évoquer auparavant les périodes de domination byzantine et arabe qui ont beaucoup apporté à l’arabo-normand.
    - Ce terme « arabo-normand » pour parler de l’architecture de la Sicile à cette époque convient mal, il est trop réducteur, on devrait plutôt parler d’architecture « normando-arabo-byzantine » pour ne pas gommer l’influence byzantine qui est considérable.
    - La Sicile à l’époque normande et la Sicile aujourd’hui, ça n’a rien à voir : la Sicile d’aujourd’hui compte peu économiquement et diplomatiquement parlant, elle n’est qu’un espace périphérique de l'Italie. Sous la domination normande, c’est tout à fait différent, la Sicile est indépendante et rayonne dans tout le bassin méditerranéen par sa puissance, économique, culturelle, sociale et militaire.

 

La conférence est découpée en trois parties : 1. La Sicile byzantine et arabe, 2. La Sicile normande, 3. « Palerme arabo-normande et les cathédrales de Cefalú et Monreale »

1ère partie : la Sicile byzantine et arabe

La Sicile byzantine

Les Byzantins s’emparent de la Sicile en 535 sous Justinien lors de la reconquête de la partie occidentale aux mains des barbares. C’est la Sicile qui est reconquise en premier, en quelques semaines. En 725, il y a une grave divergence théologique : l’Église sicilienne refuse l’interdiction du culte des images imposé par l’empereur byzantin, Léon l’Isaurien. L’Empereur Léon III confisque les biens de l'église romaine, il rattache l'île au patriarche de Constantinople pour renforcer l'influence byzantine. L'application du rite byzantin en Sicile devient alors obligatoire et ce sont désormais les Grecs qui dominent la Sicile.

La Sicile arabe

Les Arabes (les Aghlabides, des sunnites) n’avaient pas le projet de conquérir la Sicile, mais l’amiral de la flotte byzantine en Sicile, Euphemius, mis à l’écart par l’Empereur byzantin Michel II, se met au service des Arabes en 827 pour conquérir la Sicile. Après 70 ans de guerre, la Sicile est aux mains des Aghlabides. La Sicile acquiert le statut d'Émirat Arabe, elle n’est pas indépendante, mais une province de l’Ifriqiya sous la domination des Aghlabides.
Comme dans tous les pays conquis par les musulmans, le système de la dhimma s’applique aux chrétiens et aux juifs : le paiement de deux impôts leur assure la protection, mais ils doivent se montrer soumis.

2ème partie : la Sicile normande 

Deux aventuriers normands, Robert Guiscard et son frère Roger, poussés par le pape, se lancent à la conquête de la Sicile. En 1091, après 30 ans de guerre contre les Sarrasins, la Sicile est conquise et redevient chrétienne. Roger Ier met en place un système féodal et Roger II (période d’apogée) fonde le Royaume de Sicile. Au début, il y a une grande tolérance envers les musulmans, puis peu à peu, les Arabes sont rejetés et expulsés par Frédéric II.

3ème partie : les églises arabo-normandes

« Palerme arabo-normande et les cathédrales de Cefalú et Monreale » est le nom officiel donné par l'UNESCO en 2015 à un ensemble de monuments datant de l’époque du royaume normand de Sicile. Nous étudierons les sept édifices religieux en insistant sur les éléments arabo-normands.

    -La chapelle Palatine (elle est située au sein du palais des Normands) a été fondée sous Roger II. C’est une église très particulière dans la mesure où il y a deux lieux de cultes distincts : l’un orthodoxe qui correspond au chœur avec la coupole et l’autre catholique qui correspond à la nef. Le chœur présente aussi la particularité de montrer deux christs Pantokrator en gloire. Dans la nef, un troisième christ, mais en majesté. La décoration est magnifique avec les mosaïques à fond d’or qui apportent beaucoup de lumière.
    Dans la coupole, la décoration se lit horizontalement à partir du haut, en allant du divin à l’humain, à savoir : le Christ Pantokrator, les archanges, les prophètes, puis les évangélistes. On retrouvera toujours cette disposition dans les coupoles de style byzantin.
    De chaque côté de la tête du Christ, on retrouve aussi imperturbablement les inscriptions IC XC (le chrisme), c’est-à-dire les abréviations de Jésus Christ en grec (IHCOYC XPICTOC). De même, la main bénissante symbolise également IC- XC, avec la position des doigts, soit Jésus Christ.
    La nef, elle, est ornée de scènes de l’Ancien Testament. On retrouvera quasiment toujours cette distribution dans la décoration : le Nouveau Testament pour la coupole et le chœur, l’Ancien Testament pour la nef centrale. Ici, la lecture est horizontale, comme dans les églises médiévales occidentales.
    Quant au plafond, il est orné de superbes muqarnas d’origine arabe.
    Ainsi, on retrouve dans cet édifice les trois influences qui composent l’architecture arabo-normande : occidentale, byzantine et arabe.

    -L’église St Jean des Ermites
    Ses cinq dômes rouges sont l'un des symboles de Palerme. Avec ses structures cubiques et ses dômes hémisphériques, elle est incontestablement arabe. Le clocher de style gothique normand, surmonté d’une coupole arabe, est une adaptation unique de construction arabe à un usage chrétien : elle a été consacrée au culte catholique par Roger II pour devenir un monastère d’ermites (d’où son nom). L'intérieur de la petite église est simple et austère, le plan est en T, avec cinq structures cubiques surmontées chacune d'un dôme (sur pendentifs).

    - LA MARTORANA ou l’église Sainte Marie de l‘Amiral
    Son véritable nom est Sainte-Marie de l’Amiral car elle fut construite par Georges d’Antioche qui l’a dédiée à la Vierge Marie. Amiral de la flotte de Roger II, Il fut le premier personnage à porter ce titre, « amiral » (principal conseiller du roi). Seules les deux extrémités (coupole et campanile) sont arabo-normandes, le reste est baroque. Le plan du sanctuaire est en forme de croix grecque : quatre colonnes portent une coupole centrale sur trompes, décorée de mosaïques à fond d'or. La décoration ressemble beaucoup à celle de la Chapelle Palatine. La seule différence notable est le Christ représenté en majesté. Ici, nous avons les plus vieilles mosaïques de toute la Sicile, probablement dues aux mêmes artistes que ceux ayant réalisé la chapelle Palatine. A noter une célèbre mosaïque : celle de Roger II se faisant couronner directement par le Christ, avec tous les attributs d’un empereur byzantin, pour montrer qu’il s’affranchit de l’autorité du pape et pour indiquer qu’il prétend bien au titre d’Empereur byzantin.

    - L’église San Cataldo
    C’est le dernier monument où se reconnaisse la main d'architectes arabes. Par la suite, les créations nouvelles seront l’œuvre d'artistes et artisans français et italiens. La forme cubique de l'édifice, ses merlons dentelés et ses trois coupoles alignées en « bonnets d'eunuque » ne font pas douter de l’influence islamique. A l’intérieur, seule décoration, le grand Christ suspendu au-dessus du chœur, magnifique dans cette représentation byzantine. On remarque, en bas de la croix, la croix grecque rouge, marque des chevaliers de Jérusalem (l’église leur appartient).

    - La cathédrale de Palerme
    L’édifice, de styles disparates, occupe le site d’une ancienne basilique byzantine convertie en mosquée au IXème siècle. Elle a été reconstruite sous le règne de Guillaume II, par l’archevêque de Palerme, également ministre : Gautier Ophamil. Seule l’abside est d’époque normande (il n’y a pas de mosaïques à fond d’or). A remarquer les tombeaux en porphyre de Roger II et Frédéric II.

    -Aux environs de Palerme : les cathédrales de Cefalù et Monreale
    Elles ont été construites à plus de 40 ans d’écart, elles se ressemblent cependant beaucoup et nous allons les comparer. Cefalù est la 1ère grande construction religieuse normande, Monréale, la dernière.
    Elles se ressemblent par le plan (en croix latine), par les deux façades (deux tours massives carrées normandes qui encadrent un portique ajouté postérieurement), par les chevets (qui ont conservé l’architecture normande d’origine avec leurs arcatures aveugles en ogive), par les deux intérieurs qui, en l’absence de coupole, inscrivent le Christ Pantocrator dans le cul-de-four de l’abside, par les deux chœurs voûtés en ogive alors que l’architecture principale est le roman, par les deux vierges du chœur (même graphisme), par les deux christs Pantokrator (à Cefalù, Il s’agit de la représentation du Christ la plus ancienne, c’est aussi la plus expressive que l’on puisse trouver en Sicile. A Monreale, la figure du Christ est très imposante -13,30 par 7,00 mètres-).
    Une différence importante cependant au niveau de la décoration : seul le chœur de Cefalù est recouvert de mosaïques tandis qu’à Monreale, les mosaïques couvrent tous les murs (10 000 m2). Elles sont l’œuvre d’artistes locaux et d'autres venus de Constantinople et Venise. Nous continuons par l’évocation de quelques mosaïques de la nef centrale de Monreale qui met en scène l’Ancien Testament tandis que les bas-côtés et le transept évoquent la vie du Christ (guérison de dix lépreux par exemple). Le plafond du transept est à muqarnas comme à la Chapelle Palatine. Quant au plafond de la nef, polychrome à chevrons, superbe, il a été refait au XIXe siècle sur le modèle original suite à l’incendie de 1811.
    Les deux cloîtres sont les plus importants de la Sicile romane, ils sont d'inspiration surtout provençale pour les sculptures et arabe pour les arcades. Les chapiteaux, sont nombreux et très variés.
    Ces deux cathédrales, me semblent les édifices les plus « arabo-normands » de notre étude. En conclusion, on dégage deux types d’églises : les édifices à nette influence byzantine avec leurs mosaïques à fond d’or (4) et les églises à nette architecture arabe (2), la cathédrale de Palerme, elle, peut être considérée comme particulière.

L’assistance nombreuse écouta cette intervention richement illustrée avec une grande attention. Enfin, plusieurs questions furent posées à l’orateur, qui y répondit avec précision. De longs applaudissements conclurent cette belle soirée sicilienne.

 

 

Vous pouvez écouter (et voir) la conférence en suivant les liens ci-dessous.
 
Petit diaporama