Année 2008-2009 : 5 mai 2009

Les Italiens en Libye,

par Geneviève COSTES et André LINGOIS

 

Nos adhérents Geneviève Costes et André Lingois avaient choisi un thème de conférence rarement évoqué. Un voyage de l’Association Guillaume Budé sur la Libye antique auxquels tous deux avaient participé leur avait apporté l’inspiration et quelques éléments bien insuffisants. Il en fallait plus et leur recherche de documentation dans ce domaine peu travaillé s’est révélée fructueuse, malgré l’insuffisance de crédibilité de certaines sources totalement opposées.

Qui croire ? L’oeuvre bienfaisante décrite par les italiens du fascisme, l’abominable colonisation trouvée dans certaines sources pro-arabes, ou les excuses de la repentance ? Chez les italiens d’après-guerre, les critiques ont fini par dominer, au moins publiquement, surtout avec l’historien Angelo Del Boca, qui a fait un procès sévère du colonialisme italien.

Le résultat que nous présentent Geneviève Costes et André Lingois, c’est une abondance d’informations sérieusement triées, appuyées sur des images choisies très opportunément.

On nous fait d’abord le rappel de l’histoire du pays avant la présence des italiens. De nombreux peuples s'y sont succédés : les grecs qui fondèrent Cyrène en 631 avant J.C. Les phéniciens, les carthaginois, et surtout les romains qui s’y maintinrent durant six siècles, suivis des arabes et des turcs. Ces derniers, avec l’intervalle de la dynastie des Karamanli de 1711 à 1835 étaient les maîtres (mais sans grande autorité) de la Libye quand celle-ci, après la guerre Italo-turque de 1911-1912 vaincue par italiens devient possession puis province italienne.

Quelles sont les raisons de l’engagement italien en Libye. Comme l’explique l’historien français Philippe Conrad, ce sont les mêmes qui ont motivé tout l’engagement italien de colonisation en Afrique à partir du 19e siècle :

Peut-être aussi l’exemple français de la Tunisie, sur laquelle l’Italie avait des visées, et l’amertume provoquée par l’évincement italien, ont-ils joué un rôle.

En tous cas le besoin d’expansion par création de colonies a été animé par des précurseurs célèbres, dont on nous montre les portraits en citant pour preuve leurs textes. On commence par le grand combattant de l’unité italienne Mazzini, puis l’homme d’état Crespi, les poètes Carducci et Pascoli. On s’étonne de rencontrer dans cette liste Pascoli, dont la fibre sociale est connue, mais c’est précisément dans son discours de 1911, « la grande prolétaire s’est mise en route », qu’il a célébré l’entreprise coloniale de Libye. D’Annunzio lui aussi — pour lui rien d’étonnant — a célébré l’entreprise.

Avant 1911 il existait déjà quelques liens économiques avec la Libye, par exemple l’établissement à Tripoli du Banco di Roma.

C’est à Giolitti, alors Président du Conseil, qu’il appartint de décider du conflit et la conquête, qui demanda 9 mois, rencontra une âpre résistance. Pour la mâter on eut recours à des exécutions par pendaison ou à la déportation. 4.000 opposants libyens furent déportés sans discernement dans les îles italiennes de Méditerranée ou de l’Adriatique (îles Tremiti) où rien n’était préparé pour un tel afflux de prisonniers, et un grand nombre y périrent.

Même plusieurs années après la conquête, les italiens rencontraient de la résistance, entre autres des senousis (sectes d’inspiration soufiste) fondateurs des zaouïa, et plus tard du Chef Al Mokhtar, finalement vaincu et pendu sous Graziani, gouverneur de la Cyrénaïque en 1923. Entre-temps on avait dû renforcer par un grillage la frontière avec l’Egypte.

Sous le fascisme la Libye fait l’objet de toutes les attentions des italiens. En 1934 Italo Balbo, héros de l’aviation, est nommé gouverneur. C’est un grand constructeur. On lui doit la route littorale (appelée via Balbia). C’est l’ époque des courses automobiles, de la construction de l’arc des Philenes, héros de Carthage enterrés vifs après un défi de frontière entre Carthage et Cyrène qui a été raconté par Salluste.

On lui doit aussi la construction d’une ligne de chemin de fer de Tripoli à la Tunisie, tandis que de nombreux bâtiments publics dont nous voyons les photos témoignent de l’investissement de l’Italie dans la Libye de cette époque.

Encore plus net a été l’engagement des citoyens italiens. Giuseppe Volpi, gouverneur de Tripolitaine en 1923, favorise la remise de terres à des investisseurs et à des colons, par une allocation, dégressive au fur et à mesure du développement de l’exploitation. Il y a de nombreux colons, venus surtout d’Italie du Sud et de Sicile et des constructions de villages entiers. Côté musulman on procède à des expulsions, mais on voit aussi semble-t-il se créer des villages musulmans. Des photos nous sont montrées pour illustrer ces propos. Pour les chiffres, on compte 110.000 italiens en 1940, selon les plans ils devaient atteindre 600.000 en 1960.

La guerre vint briser ces rêves. Durant la guerre les destructions sont considérables. Tripoli bombardée est partiellement détruite, ainsi que la route littorale et d’autres villes. Puis c’est la décolonisation et le retour forcé et amer des italiens de Libye.

En nous montrant quelques photos provenant de leur voyage sur la Libye antique, nos conférenciers font état de l’œuvre italienne dans ce secteur.

Les fouilles avaient commencé sous les turcs, mais le manque d’intérêt de ces derniers provoqua leur abandon.

À l’ère moderne on souligne la grande importance des archéologues italiens, avec mise à jour de sites surtout à Lepcis Magna et à Sabratha, où se trouve selon André Lingois le plus beau théâtre antique. Contrairement aux français qui préfèrent laisser en l’état, il semble que les archéologues italiens pratiquent de belle façon l’art de reconstituer à l’aide des ruines des ensembles imposants. Des photos du théâtre de Sabratha avant et après en sont l’illustration.

L’exposé se termine par une photo de Kadhafi et Berlusconi se serrant la main lors des accords de 2008 entre les deux pays.

En conclusion on peut dire avec Philippe Conrad que les italiens ont participé trop tard à l’aventure coloniale pour laisser une très forte empreinte dans le pays. Néanmoins et contrairement à des idées reçues, cette influence a été nette et nos conférenciers l’ont démontré à notre profit. L’assistance conquise par la richesse des informations et leur présentation, et passionnée, posa de nombreuses questions avant d’applaudir chaleureusement.

 

©ACORFI