Notre conférencier Daniel Labrette continue son exposé sur «il Million», qui relate le voyage fait au 13e siècle par le vénitien Marco Polo en Asie et en Chine. La première partie nous avait été exposée le 1er avril 2008.
Plantant les personnages, il nous fait voir tout d’abord des tableaux représentant l’oncle et le père de Marco, qui l’accompagnaient, puis Marco Polo lui-même (tableau du Musée Correr de Venise); plus tard nous verrons l’empereur Mongol, le Grand Khan Khoubilai.
Après le passage de la chaîne on descend vers le plateau, rejoignant Kashgar, ville de 10.000 âmes connue pour ses pâtes et l’avarice de ses habitants. La ville suivante est Yarkand, ville de goitreux, dont la maladie serait due à la mauvaise qualité de l’eau. Pour Hokan Marco Polo rapporte les mœurs des ménages: si le mari est absent plus de 20 jours, sa femme et lui-même peuvent se remarier. Après les champs de coton et contournant le plateau du Tibet, on traverse (en caravane et sur des chameaux) le terrible désert de Lop, sans doute le désert de Gobi, fréquenté par les esprits malins qui cherchent à égarer les voyageurs dispersés.
Ainsi Marco Polo dit-il de chaque lieu traversé les coutumes, parfois banales, souvent fantastiques. Il est étonné par l’incinération des morts, par le sens de l’hospitalité poussé à l’extrême dans la province de Tamoul, par des costumes en amiante à l’épreuve du feu, par la découverte de la rhubarbe, et par bien d’autres choses, jusqu’au séjour en Chine qui constitue l’essentiel du voyage.
La première ville est celle de Shangshi, où se trouve la résidence d’été de l’empereur. Ce dernier est grand amateur de chasse, en particulier d’animaux aquatiques. Son camp est peuplé de nombreux faucons, munis d’une plaque d’identification.
À Shangshi l’empereur dispose d’un somptueux palais de marbre, mais il préfère loger dans des palais transportables faits de tiges de bambou, que Marco décrit dans le détail. et où Khoubilai reçoit nos vénitiens.
Cette rencontre a été imaginée par un dramaturge américain, le prix Nobel O’Neill, dans sa pièce «Marco Millions». Daniel Labrette interprète pour nous, avec malice, cette scène à trois voix, où l’on voit l’empereur recevoir la lettre de mission du Pape accompagnée de la fiole de l’Huile du Saint-Sépulcre qu’il avait demandée. A la question «Où sont les cent prédicateurs que j’avais demandés?», Nicolò répond «Voici mon fils Marco», et ce dernier malgré sa jeunesse fait preuve d’un aplomb qui lui vaudra semble-t-il la confiance de l’empereur.
La résidence d’hiver de l’empereur est à Combalic (Pékin), ville grande comme 15 fois Venise, selon Marco. Ville de marchands, où transitent toutes sortes de marchandises, où pour les transactions on utilise une monnaie de papier faite avec une membrane de merisier, ville gardée par de nombreux policiers (1.000 à chacune des 12 portes) ou soldats, connue par ses astrologues (qui seraient au nombre de 50.000 !).
Marco Polo nous décrit le palais de l’empereur (qui a précédé la Cité Impériale d’aujourd’hui), avec ses murs et portes ornés d’or et d’argent, ses toits de tuiles en céramique de toutes couleurs, le parc aux 10.000 chevaux et juments blanches.
L’empereur aurait 500 concubines, choisies dans une sélection rigoureuse par des juges qui leur attribuent des scores en carats ! Néanmoins l’empereur a quatre épouses officielles, chacune disposant d’une cour avec pages et demoiselles d’honneur.
Lors des fêtes d’anniversaire de l’empereur, qui peuvent réunir 10.000 invités, les barons remettent des cadeaux à l’empereur, et ce dernier fait largement honneur au copieux banquet. C’est sans doute l’origine de la goutte qui l’accable.
Marco Polo, qui maintenant connaît les langues pratiquées dans l’Empire, est envoyé spécial de l’empereur dans ses provinces (il sera du reste trois ans gouverneur de l’une d’elles). Il va de la Chine du Nord, à Combalic, à Quanzhou dans la Chine du Sud récemment conquise.
On pense qu’il est allé dans le Myanmar (Birmanie), dans le Yunnan, dont il décrit le fleuve Mékong. On ne sait s’il est allé en Thaïlande. Au nord il est allé en Corée, mais pas au Japon, dont l’empereur ambitionnait la conquête, qui échoua deux fois sur naufrage de sa flotte par les tempêtes. A l’Est Marco a sans doute parcouru le haut plateau du Tibet.
La paix mongole règne sur la Chine. Les voyages sont facilités par de fréquents relais de poste, qui assurent la circulation du courrier officiel.
De retour de ses voyages, Marco Polo en rend compte à l’empereur qui ne se lasse pas de l’écouter. L’écrivain italien Italo Calvino a bien exprimé l’atmosphère probable de ces entretiens, dans un passage de ses «Villes invisibles». A l’empereur lui disant qu’il lui parle de toutes les villes, mais jamais de Venise, Marco répond :«C’est que, Sire, dans tous mes récits, il y a quelque chose de Venise».
Il y a maintenant 17 ans que Marco est en Chine et sans doute il doit souhaiter rentrer à Venise. C’est sûrement le cas de son père et de son oncle, qui continuent leur métier de commerçants. L’empereur Khoubilai ne souhaite pas les voir repartir, mais il se présente une occasion.
L’empereur de Perse, Arghun, un parent de l’empereur Mongol, vient de perdre son épouse; il souhaite se remarier à une princesse mongole, et s’adresse pour cela à Khoubilai. On lui choisit la princesse Koekechin, qui va donc devoir voyager jusqu’en Perse. Khoubilai décide de la faire accompagner par Marco et les deux frères, et les munit d’un sauf-conduit, appelé gerege en mongol, paisa en chinois.
Le voyage a lieu par voie de mer, en partant du port de Quanzhou. L’escorte sera composée de 600 hommes. Les jonques de haute-mer choisies pour le voyage étaient très grandes, selon les épaves retrouvées récemment au fond des mers. Elles pouvaient atteindre 4 ponts, 4 mats, 12 voiles, elles offraient des cabines confortables, et elles étaient desservies chacune par 200/250 hommes. On emportait non seulement des vivres, mais également des plantes pour se réapprovisionner. La coque était faite de plusieurs couches de bois, jusqu’à 13 couches liées entre elles.
Le départ a lieu vers 1291. Par la mer de Chine, on passe d’abord par Da Nang (aujourd’hui au Vietnam), capitale d’un royaume vassal. Après le détroit de Sumatra on aborde l’Océan Indien, mais il faut s’arrêter longuement dans la région où se trouve aujourd’hui Ace, dans l’attente de vents favorables. La population est hostile, on la dit cannibale. Il faut construire un fortin pour se trouver en sécurité. Mais certains essayent quand même de leur vendre, en les faisant passer pour des nains, de petits singes. Dans les îles Nicobar ou les îles Adaman on rencontre des hommes à tête de chien.
À Ceylan, que Marco appelle l’île la plus belle du monde, Marco gravit la montagne sacrée, munie de chaînes pour en faciliter l’escalade. Aux Indes il fait très chaud, Marco décrit des serpents à pattes et à grandes dents, et cette description rendra plus tard incrédules certains lecteurs. Plus vraisemblable est la culture des arbustes à poivre noir, épice très recherchée à l’époque, et la présence de nombreux fakirs.
Enfin c’est l’arrivée au port persan d’Ozmur. Il ne reste qu’une jonque, et des 600 hommes d’escorte, seuls 18 seraient restés. Mais la famille est toujours entière. Toutefois l’empereur promu au mariage est décédé; il a un fils dont la princesse attendra la majorité afin de le prendre pour époux.
En même temps la nouvelle arrive de Chine de la mort de Khoubilai. Nos trois compères n’ont donc plus besoin rentrer en Chine, ils sont désormais libres de rejoindre Venise.
Ils prennent la route en direction de la Mer Noire et le voyage leur coûtera une partie des pierres précieuses qu’ils ont emportées. Ils arrivent à Venise en 1295, et on ne les reconnaît pas, on a d’ailleurs peine à croire à leurs récits. Il leur faut organiser un banquet au cours duquel ils changeront de tenue à chaque met, terminant par les manteaux usés qu’ils portaient à leur retour, dont les poches, garnies de pierres précieuses, achèvent de dissiper l’incrédulité.
À Venise ils continuent d’exercer leur métier de marchand, tout en se mariant. Marco Polo aura trois filles, mais trois ans après son retour il est fait prisonnier comme l’on sait et emmené à Gênes. Ses récits de voyage, contés à son compagnon de captivité Rustichello da Pisa, donnent naissance à l’un des livres d’aventure les plus fantastiques du Moyen-Âge, dont Christophe Colomb put lire une copie, aujourd’hui à Séville, et qui sans doute contribua à son projet de navigation vers l’Ouest à la recherche de la Chine et du Japon.
Pour terminer Daniel Labrette interprète l’appel que l’on suppose fait par son confesseur à Marco Polo sur son lit de mort, l’adjurant de reconnaître avoir inventé ce qu’il dit avoir vu. Le confesseur finit par dire que l’on ne brûlera pas son livre, qui ne dit en somme que les aventures du Grand Khan. Ce livre, Marco en aurait fait cadeau d’un exemplaire en 1307 à l’ambassadeur du roi de France à Venise, Thibaud de Cepoy, et c’est ainsi qu’il serait arrivé à nous.
Là-dessus se termine un exposé en deux parties toutes deux très réussies, riches de détails passionnants contés avec beaucoup d’esprit. Les acorfiens sont comblés et posent de nombreuses questions sur le voyage mythique de Marco Polo qui continue de faire rêver.