Année 2008-2009 : 10 mars 2009

Le poète anglais Percy Bysshe Shelley en Italie
(1792-1822),

par Mauricette AUSSOURD

Mauricette AussourdEn préambule, Mauricette Aussourd nous annonce qu’elle souhaite par son sujet nous présenter une promenade en Italie. Comme le démontre la carte distribuée aux participants, Shelley durant ses quatre années vécues en Italie, jusqu’à sa fin tragique, a beaucoup voyagé, habitant dans de multiples villes ou villages, où parfois ses adresses sont encore connues.

Toutefois, la vie de ce grand poète romantique ne peut se limiter à l’Italie, bien qu’il y ait écrit la plupart de ses œuvres poétiques. Il s’est aussi exprimé largement dans le domaine de la politique et ceux de la philosophie ou de la religion, surtout en Angleterre, où son existence malheureuse et tourmentée méritait d’être racontée.

Né en 1792 dans une famille de noblesse terrienne, il avait quatre sœurs, et les femmes allaient jouer un grand rôle dans son existence. Étrangement, il était obsédé par l’eau sous toutes ses formes. Il fit des études à Eton et à Oxford. Ses écrits subversifs le firent exclure d’Oxford où il était surnommé “Shelley l’athée”, et son père rompit toutes relations avec lui. Mais ses sœurs continuèrent de le soutenir.

Harriett Westbrook, une amie de ses sœurs, servait d’intermédiaire. Elle avait 16 ans quand Shelley l’enleva pour l’épouser en Écosse. Il en eut une fille, Ianthe. Ce ne fut pas un mariage heureux. Après trois ans de mariage, Harriett, abandonnée par Shelley, se noya dans la Serpentine, à Hyde Park. Elle était enceinte, mais pas de Shelley parait-il.

Shelley se trouvait sous l’influence de Godwin, un journaliste et philosophe inspiré par la Révolution Française, qui prônait ce qu’il appelait la “perfectibility”. Godwin avait épousé la fameuse féministe Mary Wollstonecraft, qui avait déjà une fille, Fanny Imlay. Fanny plus tard se suicida.

Godwin et Mary Wollstonecraft eurent une fille elle aussi appelée Mary, mais Mary Wollstonecraft mourut à sa naissance. Par la suite Mary Godwin épousa Shelley après qu’il l’eut enlevée elle aussi. Mary Shelley Godwin nous est aussi connue comme la créatrice de Frankenstein.

Godwin s’était remarié avec une autre femme de lettres, Mary Jane Clairmont, dont il eut une autre fille, prénommée Claire, et qui eut plus tard une aventure avec Shelley. Abandonnée par Byron, Claire Godwin souhaitait le retrouver pour fixer le sort de leur fille, Allegra. Le couple Shelley devait l’accompagner dans ces tentatives. La première eut lieu en Suisse, près du lac de Genève, et échoua sur l’intransigeance de Byron. Le voyage en Italie, qui donnait à Shelley l’occasion de fuir l’Angleterre, était la seconde de ces tentatives.

ShelleyLe séjour italien

En mars 1818, Shelley part pour l’Italie avec sa femme Mary, leurs deux enfants, la demi-sœur de Mary, Claire, et sa fille Allegra, et les deux nurses. A la frontière de la Savoie, qui faisait partie du Piémont à cette époque, un contrôle révèle dans les bagages de Shelley la présence d’écrits de Voltaire et de Rousseau, que l’on menace de brûler. Ils lui seront restitués plus tard.

Après un passage à Turin ils sont le 4 avril à Milan. Leur intention est de conduire Allegra à son père, Byron. et de permettre à Claire de reprendre ses relations avec lui. Mais Byron refuse de quitter Venise et de rencontrer Claire, qui est sans ressources et se voit contrainte de laisser Allegra à son père. Allegra est donc emmenée à Venise avec sa nurse et l’envoyé de Byron. Celui-ci la confiera ensuite à un couvent de Bagnacavallo, non loin de Ravenne.

Le groupe continue vers Pise et Livourne. Ils s’arrêtent quelque temps à Livourne, où se trouve une petite colonie anglaise, dont Sophia Stacey, une amie de la mère de Mary, qui a pris soin d’elle quand elle était petite. Ils restent près de deux mois à Bagni di Lucca à la Casa Bertini dans une grande maison à flanc de colline.

Mais Claire a des crises d’angoisse et voudrait revoir sa fille. Elle décide d’aller à Venise. Shelley va l’accompagner. A Venise Shelley se présente seul chez Byron, qui refuse toujours de rencontrer Claire, mais accepte qu’elle passe quelques jours avec sa fille, dans sa villa à Este, dans les collines Euganéennes. Mary vient les rejoindre avec ses deux enfants, dont la petite Clara. Mais cette dernière a mal supporté le voyage et devient malade. Ils prennent cependant le bateau pour Venise, empruntant sans doute le canal du Brenta. Malheureusement Clara meurt en fin de voyage et en septembre sera enterrée au Lido.

En novembre ils descendent vers Rome et Naples. Ils font halte à Ferrare. Shelley y visite la bibliothèque, où se trouvent les manuscrits de l’Arioste et du Tasse. Il en fait une véritable analyse graphologique et croit être plus proche du Tasse, par le désordre psychologique et l’esprit itinérant qui étaient aussi la marque du poète italien.

Le 20 Novembre ils font une visite rapide de Rome et se rendent à Naples, où ils occupent un très bel appartement donnant sur les jardins royaux avec une belle vue de la baie de Naples, et du Vésuve. Excursions à Pozzuoli et au Cap Misène. A Baia, Shelley est profondément ému en voyant les ruines romaines submergées par la mer. L’année 1818 se termine par la visite du Vésuve, puis de Pompei et de Paestum. Mais le moral des deux femmes est au plus bas.

Début 1819 il arrive ce que les biographes appellent le mystère napolitain. Shelley reconnaît en février une fille, Adélaïde, née le 27 décembre 1818, et dont on ne connaît pas la mère. Confié à une famille italienne, l’enfant mourra en bas âge, et le mystère demeure inexpliqué.

Shelley Caracalla1819 - Ayant quitté Naples, ils s’installent à Rome, au numéro 300 du Corso. Visite de Rome en détail. Shelley aime particulièrement les promenades aux Thermes de Caracalla, où le représente un tableau bien connu.

En mai, il y a une vague de chaleur à Rome. Le petit William, le fils de Shelley et de Mary, est atteint d’une fièvre foudroyante, et meurt le 16 juin. Il est enterré au cimetière protestant de Rome. au Testaccio. Mary entre dans une grave dépression.

Ils partent pour Livourne et séjournent au village de Montenero, près de Livourne. Durant ce temps, se déroulent en Angleterre de graves évènements qui touchent profondément Shelley. Le 16 Août une grande manifestation populaire près de Manchester est durement réprimée par la garde nationale, inexpérimentée. Il y a 11 morts et 400 blessés. C’est ce que l’on a appelé “The Peterloo Massacre”.

Shelley déménage à Florence, où va naître Percy Florence le 12 novembre. Il séjourne dans un appartement au Palazzo Marini, près de Santa Maria Novella.

En 1820, Shelley est à Pise, au “Tre Palazzi di Chiesa”, 349 Lung’Arno” (sur le Lungarno Galileo Galilei au bout du Ponte Fortezza). Shelley a occupé plusieurs logements à Pise, dont Casa Aulla, aussi Lung’arno, et précédemment une maison du village de San Giuliano, à Bagni di Pisa .

Alerté par Pacieri, un sacerdote italien qui fréquente la colonie anglaise, Shelley s’émeut du sort de Teresa Viviani (qu’il appelle Emilia Viviani), une jeune italienne qui serait enfermée dans un couvent, dans l’attente d’un mariage forcé.

En 1821 les Shelley font la connaissance d’Edward et Jane Williams qui logent juste au-dessous de chez eux. Edward Williams est un ancien officier de marine, et tous deux font de la navigation sur l’Arno.

Ils sont proches de Byron, qu’ils rencontrent fréquemment, et de Gamba, un comte italien suspecté d’appartenir aux Carbonari.

1822 - Shelley souffre de néphrite, et il est fréquemment sujet à des hallucinations.

En avril on annonce du couvent de Bagnacavallo la mort d’Allegra, la fille de Claire et de Byron..

Les Shelley et les Williams emménagent à la Casa Magni, à San Terenzo, près de Lerici, dans le golfe de La Spezia.

En mai, Shelley fait l’acquisition du voilier de Byron le “Don Juan”, que lui-même appellera “L’Ariel”. Shelley et Edward Williams vont rendre visite aux Hunt à Livourne. Hunt était l’éditeur du journal “The Examiner”, et a fait le projet de lancer un autre journal qui serait appelé “The Liberal”. Shelley espère obtenir le soutien financier de Byron pour ce projet.

Lors du voyage de retour, le 8 juillet, le voilier fait naufrage pendant la tempête. Les raisons du naufrage demeurent inconnues : gros temps, mauvais bateau, collision, coup de folie de Shelley qui aurait gêné la manœuvre de Williams?

Les corps sont rejetés sur le rivage bien plus tard et sont brûlés sur la plage de Viareggio, entre La Spezia et Livourne. Le corps de Shelley est identifié grâce à la présence dans sa veste d’un volume annoté de poèmes de Keats. Son ami Trelawny parvint à sauver son cœur de la crémation.

Les cendres de Shelley seront déposées en 1823 au cimetière protestant de Rome.

Œuvres poètiques de Shelley

L’œuvre est considérable, surtout si l’on pense au peu d’années de production. En fait la majorité des œuvres du poète ont été écrites en Italie.

En 1816, Shelley écrit “Hymn to Intellectual Beauty” et “Mont Blanc”, tandis qu’il passait à Chamonix.

En 1818, sur la route de Modène à Florence, il écrit le “Passage des Apennins”.
Quand il se trouve à Este, dans la villa de Byron, il écrit les “Vers écrits au milieu des Monts Euganéens” qui abordent le thème de la mort, et décrivent les collines qui entourent la villa, et “Julien et Maddalo” poème sous forme de conversation. Shelley s’y est représenté dans la personne de Julien, et a fait de Byron le comte Maddalo. Un beau vers cité : “Hélas, errant éperdument, j’ai rencontré la pâle peine, qui ne me lâchera plus.” Shelley y réalise une sorte d’introspection, et dévoile la peur de la folie qui est en train de le gagner. C’est aussi à Este que Shelley écrit le premier acte de “Prométhée délivré”.

En 1819, les deux actes suivants de “Prométhée délivré” sont écrits à Rome.
À Livourne il termine et publie en Italie un drame, “Les Cenci”.
À Florence il écrit “L’Ode au vent d’ouest” et achève “Prométhée délivré”. Il écrit encore “La Sensitive”, “Ode à la Liberté”, “À une alouette”, “Lettre à Mary Gisborne”, “Ode à Naples”; il publie “Prométhée délivré”.

En 1820, composition de “Epipsychidion”, inspiré de Dante, et par le sort de Teresa Viviani. Rédaction de “La Défense de la Poésie”.
Apprenant à Rome la mort de Keats, il avait commencé “Adonaïs”, élégie publiée à Pise.
Il termine “Hellas”, drame lyrique, et se met à écrire “Le Triomphe de la Vie”.

Mauricette AussourdŒuvres politiques et philosophiques de Shelley.

Shelley était athée à sa façon, panthéiste peut-être. Idéaliste, il ne comptait pas sur la violence pour établir la justice, mais sur la volonté ferme et soutenue, comme plus tard Gandhi.

C’est principalement durant la période anglaise que Shelley s’est exprimé en politique et sur la religion.

En 1811, avec son compagnon d’études Hogg, il écrit et fait circuler “La nécessité de l’athéisme”, ce qui le fait exclure d’Oxford.

En 1812, Shelley est à Dublin; il écrit des pamphlets subversifs: “Adresse au peuple irlandais”, “Propositions pour une Association de philanthropes”. Surveillé par la police, il part au pays de Galles; c’est alors qu’il rencontre William Godwin lors d’un séjour à Londres.

En 1813, Shelley fait imprimer et circuler clandestinement “Queen Mab”.

En 1814, Shelley publie “Une réfutation du déisme”.

En 1817, c’est “Laon and Cythna” imprimé en octobre. Sous le coup de la censure, cet ouvrage est révisé et republié en décembre sous le titre “La révolte de l’Islam”.

Durant le séjour à Venise, Shelley ne manque pas de déplorer la décadence de Venise sous le joug des tyrans autrichiens.

Enfin “The Peterloo Massacre” est pour Shelley l’occasion d’écrire (de l’Italie) son pamphlet le plus violent : “The Masque of Anarchy” contre le régime en vigueur dans son pays.

Conclusion

Mauricette Aussourd a réussi à nous présenter de manière très vivante la vie pourtant tragique de Shelley, poète romantique et poète maudit, dans un exposé à la fois attrayant par les aventures racontées, humoristique par les anecdotes, émouvant par la lecture de morceaux choisis des poésies. Certains ouvrages, comme “Prométhée délivré”, “L’Ode au vent d’ouest”, “Adonaïs” ont été commentés et décrits en détail. Des images bien choisies étant venues en complément, la salle demeura captivée d’un bout à l’autre de l’exposé, très chaleureusement applaudi.

 

 

©ACORFI