Graziella qui est venue exprès de Venise pour nous présenter cette conférence, a bien voulu composer un résumé de celle-ci pour notre site :
Tout le monde connaît le célèbre tableau de Gentile Bellini appelé « Processione in Piazza San Marco », ou ceux de Carpaccio représentant Saint Georges ou Saint Ursule, mais rares sont ceux qui savent que ces tableaux ont été commandés par les «Scuole» pour décorer leurs sièges.
Les «Scuole», ou Écoles, ont représenté à Venise pendant plusieurs siècles un important réseau de confréries à caractère religieux, mais laïques, créées pour assister les pauvres et les malades, ou pour protéger les intérêts des professions des arts et des métiers, ou encore pour aider les membres les plus pauvres ou nécessiteux des communautés étrangères résidant dans la ville.
La présence des Scuole durant toute la durée de la République représente un phénomène intéressant et complexe, historique, religieux, politique, social, économique, architectural et artistique.
Elles étaient divisées en deux grandes catégories : les « Scuole Grandi »et les « Scuole Piccole » (dites encore « Minori »), ces dernières réunissant ceux qui exerçaient le même métier, faisaient partie de la même corporation, ou encore étaient originaires du même lieu. Les Scuole Grandi avaient un caractère plus dévotionnel.
Ces associations laïques vénitiennes possédaient des caractéristiques spécifiques qui ont fait d’elles une composante indispensable pour le bon fonctionnement de l'Etat ; en sauvegardant la liaison entre le Gouvernement, les artistes et les artisans, on procurait à ces groupes une certaine liberté dans leur gestion interne, où les classes intermédiaires exclues de la gestion directe de l'Etat pouvaient exercer leur pouvoir.
A l’origine le nom de «Scuola» était employé pour désigner le lieu où avaient lieu les réunions, par la suite le terme finit par s’identifier avec la confrérie comme entité juridique. Pour créer une nouvelle Confrérie, il fallait demander l’autorisation au Conseil des Dix en présentant la « Mariegola », c’est-à-dire les statuts de la nouvelle communauté.
Ensuite par un acte notarié et en accord avec le Chapitre Paroissial, on réglementait les droits et devoirs réciproques. Et en dernier lieu on adressait une requête d’élévation canonique, c’est-à-dire l’identification juridique ecclésiastique de la Confrérie, nécessaire pour obtenir du Pape le bénéfice des indulgences attribuées selon les offrandes des fidèles.
Les Scuole Minori n’avaient très souvent qu’un autel dans l’église du «sestiere» ou quartier dans lequel résidait la majorité des confrères, et dans le meilleur des cas un modeste édifice près de l’église, tandis que les Scuole Grandi pouvaient se permettre la construction de somptueux édifices comme siège social, décorés par les meilleurs artistes du moment.
Chaque confrère payait des taxes annuelles à la Confrérie et au Gouvernement (qui par ailleurs faisait face aux dépenses causées par les guerres). C’est par ces taxes ainsi que les dons et les legs testamentaires que se créa le patrimoine de chaque Scuola, employé ensuite aux oeuvres de charité, construction d’immeubles pour la location, création d’hôpitaux pour les confrères infirmes et hospices pour les indigents.
Chaque Scuola était placée sous la protection d’un Saint ou de la Vierge, mais sa laïcité, malgré l’intense religiosité attachée à une église paroissiale ou conventuelle, fut confirmée, notamment par deux décrets de la République en 1475 et en 1498.
Les personnes qui venaient à faire partie des Scuole, recherchaient des avantages pour elles-mêmes et leurs familles, afin de faire face aux difficultés ou aux malheurs que pouvait leur préparer la vie. On cherchait donc une protection pour l’existence entière, et même après la mort, à travers les prières et les messes de Requiem. On peut attribuer le succès des Scuole à ce double dessein d’assistance du corps et du salut de l’âme, qui rendait tous les confrères protagonistes de leur vie et de celles des autres, tous unis dans leur Scuola, qui effaçait les craintes du lendemain, la peur de la misère, de la maladie ou de la solitude, et atténuait l’angoisse de la mort et de la punition divine en raison de leurs péchés. C’est ainsi qu’elles étaient importantes surtout pour les classes moyennes ou basses, par le recours à l’entr’aide.
Le non respect des règles de bon comportement moral, dans la vie publique ou privée, était puni par la radiation de la Confrérie, surtout s’il s’agissait de délits envers l'Etat.
En 1501, à l’occasion des funérailles du Cardinal Zen, le chroniqueur de la République Marino Sanudo, avait recensé 210 Scuole, parmi lesquelles six Scuole Grandi, les plus importantes par leurs privilèges, leur patrimoine et les appartements en leur possession.
Les décrets napoléoniens, puis autrichiens, abolirent les Scuole et interdirent leurs activités charitables, avec le dessin politique de désagréger le système associatif à leur base, en même temps que leur identité socioculturelle.
Les Magistratures de la République qui supervisaient les Scuole étaient:
Comment les Scuole sont-elles devenues « Scuole Grandi » ?
Elles ont obtenu ce titre vers la moitié du 15e siècle, selon la disposition du Conseil des Dix, mais uniquement en faveur des Confréries caritatives, qui pour certaines à l’origine, étaient des confréries charitables de « battuti », ou flagellants.
Selon Francesco Sansovino, les « Scuole Grandi » étaient au nombre de six :
D’autres sont devenues « grandi » plus tard :
Puis Graziella nous présente dans le détail deux Scuole, d’abord celle des Carmini, puis, longuement la Scuola de San Rocco.
Toute sa conférence a été illustrée par des vues, qu’elle nous a commentées en détail. C’était chaque fois une nouvelle explication et, pour la plupart d’entre nous, une découverte : celle par exemple d’églises qui furent jadis des « scuole », ou bien les caractéristiques du maniérisme, ou la nouveauté de la Cène peinte par Tintoret, ou pour San Rocco le rappel des origines de la peste ; on scrute, avec Graziella, le plafond de Tiepolo aux Carmini, sans oublier ses quadratures, on apprend l’habileté mise en oeuvre par Tintoret afin d’être choisi pour la décoration de San Rocco, etc… Et chacun des tableaux exécuté par les grands maîtres nous est décrit fidèlement, mettant en évidence des détails ou des beautés qui nous avaient échappé.
Pour mieux décrire toutes les impressions ressenties par l’assistance, voici un extrait de lettre reçue de l’un des acorfiens qui remplissaient la salle :
« Tous nos compliments à la signora Graziella, pour son excellente prestation d'hier soir, relative aux Scuole di Venezia. J'ai admiré sa maîtrise du sujet, la manière dont elle citait dates et noms, pratiquement sans se référer à ses notes, sa belle élocution, détachant bien les paroles, avec son charmant accent.
Elle nous a fait découvrir les détails subtils de l'art de quelques peintres illustres, auxquels le touriste moyen ne prête aucune attention, parfois pris par la boulimie de tout voir, dans le minimum de temps.
Nous avons assisté à une séance exceptionnelle, grâce aux qualités de la conférencière, et à l'action des organisateurs. »