Année 2002-2003 : 21 janvier 2003

L'histoire du carnaval de Venise,
par Gisèle Karczewski

 

7. Hier comme aujourd’hui : une réponse au mal être et à l’angoisse ?

 

Les masques qui surgissent tous les soirs à 17 heures et qui convergent vers la place Saint-Marc n’ont rien de l’allure de revenants menaçants même s’ils gardent un aspect fantomatique. Quelquefois néanmoins on peut y voir une forme d’exorcisme.

Les carnavals modernes laissent à chacun la liberté de se travestir selon son imagination et au gré de ses fantasmes alors que le carnaval traditionnel possède ses propres déguisements. On retrouve bien sûr pour beaucoup d’entre eux le rôle traditionnel de la transgression et de l’inversion : libération de la réalité, d’un régime politique rigoureux (il ne faut pas perdre de vue que Venise était truffée d’espions qui alimentaient de leurs rapports les fameuses bouches de la vérité), libération des rapports hiérarchiques des règles et des tabous. Les masques d’aujourd’hui continuent de vouloir exorciser un certain mal être.

L’illusion momentanément recréée a un double sens : un sens individuel et un sens pour la cité de Venise même. En effet Venise actuellement comme depuis le XVIIe siècle règle ses comptes avec l’histoire. Pour certains le carnaval ressemble à une danse macabre qui fête une époque révolue d’une cité sans futur. Pourquoi pas, on peut effectivement interpréter ainsi la renaissance du Carnaval de Venise.

Au plan des individus qui animent ces défilés ou qui s’enivrent de plaisirs dans les différents lieux évoqués plus haut, les interprétations sont un peu différentes : nos sociétès étant plus libérales,il s’agit d’évoluer dans l’oubli complet, de s’imprégner d’une ambiance magique pour échapper à la médiocrité ambiante, oublier le terne, le précaire, le quotidien.

Si pour certains ce carnaval n’est qu’un fade simulacre étriqué des carnavals anciens pendant lequel on essaye de faire revivre sans enthousiasme des fantômes, on ne peut nier que beaucoup y retrouvent l’ivresse, l’oubli, la frénésie. C’est une fête que chacun se donne à soi même, à Venise et par le truchement des médias au monde entier : l’être médiocre de tous les jours s’évanouit au profit d’un personnage de gloire, scintillant, rayonnant de plumes et de voiles. En somme chacun actualise ses désirs pour mieux accepter ses limites… ?

Doit-on au nom de la tradition regretter la disparition de la dimension transgressive des masques et des manifestations ? Ce serait déplorer l’élargissement des libertés, la disparition de la brutalité à l’égard des animaux, au fond déplorer un progrès de la civilisation ?

Certes le carnaval de Venise n’abolit pas les inégalités sociales qui se voient à travers les déguisements et les festivités réservées à des catégories aisées voir très aisées ne serait ce que par le prix des entrées, en tout cas il fait rêver et c’est peut-être l’essentiel.

 

©ACORFI